La directrice du TNM, Lorraine Pintal, voulait que François Girard s'attaque au chef-d'oeuvre de Beckett, En attendant Godot, depuis de nombreuses années. Le très prisé cinéaste-metteur en scène n'a accepté qu'à une seule condition, celle de réunir quatre grands acteurs: Benoît Brière, Alexis Martin, Pierre Lebeau et Emmanuel Schwartz.

Humbles et solidaires, les cinq hommes, accompagnés des autres artisans du spectacle, ont entrepris il y a plusieurs mois le travail sur l'immense pièce de Samuel Beckett.

«J'appelle ça le mont Godot, dit François Girard. On est en escalade et on se tient les uns les autres par une corde. Parfois, quelqu'un glisse et on le rattrape. C'est un texte qui en demandera toujours plus. Dans le travail collectif, on peut arriver à faire mieux que ce que chacun de nous aurait pu imaginer. Il y a là un aspect presque initiatique.»

Théâtre contemporain, théâtre de l'absurde. Samuel Beckett abhorrait les étiquettes. François Girard s'en méfie aussi. Il ne voulait surtout pas imposer une vision unique du texte.

«On peut mettre tout ça dans une petite boîte et le livrer au spectateur en disant: voici ce que ça veut dire. Ou on ouvre le sens et on laisse la pièce résonner de façon organique dans le public.»

«Ce n'est pas facile, mais c'est le travail: ouvrir le sens pour que le texte prenne toutes ses significations possibles.» 

Il y a toujours des doutes et des remises en question, dit-il. Le metteur en scène avoue en avoir jonglé un coup.

«Moi, je fais du fil de fer, mais ce sont les comédiens qui sont en péril. C'est quand même formidable de les voir s'approprier un texte comme ça et avoir le courage d'affronter le public. Personne ne se présente ici pour ajouter une page de plus à son curriculum.»

Passions

Son propre curriculum, on le sait, est passablement rempli. Il arrive de Toronto, où il a mis en scène l'opéra de Wagner Siegfried. Il s'en va au Japon reprendre la pièce Le fusil de chasse de Yasushi Inoué.

Théâtre, cinéma, opéra, cirque... François Girard est cet alpiniste qui ne craint ni les hauteurs ni le vide. 

«Quand je sens qu'on a réussi à me mettre dans une boîte, j'ai le goût de sauter dans une autre. Je fuis les étiquettes. C'est de la curiosité. Si on ne nourrit pas ça, on s'éteint. Il faut que je remette en question qui je suis et ce que je fais tout le temps. J'accepte que ce soit ma nature. Il y a très peu de calculs de carrière dans tout ça. C'est juste de la passion.» 

Petits et gros budgets

François Girard sait tout de même qu'il a de la chance de pouvoir choisir et d'avoir les moyens de ses choix. Mais l'argent n'est jamais un facteur ou une pression, soutient-il. 

«Parsifal est réputé être l'un des opéras les plus chers. Une seule représentation, c'est 500 personnes en heures supplémentaires avant même d'avoir commencé. C'est extrêmement dispendieux. Mais la production, c'est presque marginal. Je n'ai pas à me laisser toucher par ça. J'ai appris jeune à être insensible à la quantité de zéros qu'il y a après un chiffre. Il faut savoir se concentrer sur la petite chose, même si ce qui est derrière est gros. Je n'ai pas le syndrome des camions. Ça m'importe peu.

«Faire une petite pièce ou une grande, faire un film à grand budget ou à petit budget, essentiellement, la démarche est la même pour moi. Le plus difficile c'est le calendrier.»

Il ne prend presque jamais de vacances, sinon en prolongeant ses séjours à l'étranger ou pour les 100 ans de sa tante Alice au Lac-Saint-Jean. Il veut se concentrer sur le cinéma dans les prochains mois... peut-être les prochaines années. Qui sait? L'opéra du Met l'a déjà mis à l'affiche en 2020!

«Je connais très bien mon privilège de pouvoir circuler et de me lever le matin en ayant le goût de travailler. J'ai 53 ans et je m'occupe de garder le pilote allumé. Je m'arrêterai quand le pilote sera éteint, même si j'aimerais ne jamais m'arrêter.»

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En attendant Godot est présentée au TNM jusqu'au 31 mars.