Mettons tout de suite une chose au clair. Quiconque adapte «Guerre et paix» de Leon Tolstoï pour un théâtre de marionnettes mérite notre admiration. Point, barre. Le sujet de cette pièce peut paraître rébarbatif, je vous l'accorde. Mais ceux qui connaissent la créativité et l'esprit fin de Loup bleu savent au fond qu'ils ne seront pas déçus...

La célèbre marionnette d'Antoine Laprise qui nous a jadis fait le récit des Essais de Montaigne et du Discours sur la méthode de Descartes nous narre l'essentiel de ce roman épique de 2000 pages de brillante manière. Un récit divertissant, à la fois politique et social, qui décrit le régime féodal russe tout en s'intéressant aux relations avec la France. 

Pour ceux qui ne sont pas familiers avec l'approche de Loup bleu, vous aurez compris que malgré la présence des marionnettes, ce spectacle ne s'adresse pas aux enfants.  

En moins de 100 minutes, vous revivrez donc des pans importants de l'histoire russe du début du 19e siècle avec entre autres les batailles d'Austerlitz et Borodino en 1805, mais aussi avec la campagne de Napoléon en 1812. Tout ceci à travers les nombreux personnages créés par Tolstoï, à commencer par Pierre Bézoukhov, fils illégitime d'un vieux comte.

Il sera beaucoup question des relations sociales et amoureuses des membres de cette aristocratie russe, au coeur de laquelle on retrouve les princes André Bolkonsky et Basile Kouraguine. Il sera aussi question du servage des paysans, que le bon Pierre Bézoukhov voudrait bien affranchir au nom des valeurs de liberté défendues par Napoléon.  

Extrêmement rigoureux dans son compte rendu historique, les créateurs du Sous-marin jaune n'en sont pas moins délicieusement irrévérencieux. 

Dans cette fresque historique pleine de rebondissements, adaptée par Louis-Dominique Lavigne, on retrouve avec beaucoup de plaisir l'humour et l'érudition de Loup bleu. La pièce regorge de trouvailles scéniques ingénieuses, qui sont la marque de la compagnie. Le déploiement du décor en carton-pâte est tout simplement renversant.  

La reconstitution de la campagne de Napoléon en Russie, en 1812, est particulièrement bien rendue. Une campagne militaire gagnée par l'empereur, qui verra toutefois son armée décimée par le froid et la maladie. Une guerre où les gagnants ont perdu et où les perdants ont gagné, comme nous le rappelle Loup bleu avec un t-shirt des Pussy Riot! 

Ce Guerre et paix, qui a triomphé en France où il a été présenté au festival Charleville-Mézières, réussit à soulever des questions essentielles sur la lutte des classes, le bien-fondé de la guerre et ses dommages collatéraux, mais aussi sur la vérité historique. Tout ça en brossant un portrait sans complaisance de la société russe et de ses moeurs. 

Chapeau à Antoine Laprise et ses acolytes Jacques Laroche, Paul-Patrick Charbonneau et Julie Renault qui manipulent avec virtuosité la vingtaine de marionnettes, parmi lesquelles on retrouve Leon Tolstoï lui-même. L'auteur concluant par ces sages paroles : «Tous les hommes, petits et grands, sont les marionnettes de l'Histoire». Amen.

Au Théâtre d'Aujourd'hui jusqu'au 21 novembre.

Photo Alain Roberge, La Presse

Louis-Dominique Lavigne et Antoine Laprise