La comédienne Sophie Desmarais reprend, en compagnie de Luc Picard, la pièce de Michael MacKenzie (traduite par Alexis Martin) Instructions pour un éventuel gouvernement socialiste qui souhaiterait abolir la fête de Noël, les 15, 16 et 17 octobre au Théâtre Outremont, dans une mise en scène de Marc Beaupré. Discussion sur la technologie avec une romantique ascendant analogique.

Il y a une image forte qui m'est restée en tête la semaine dernière. Une vidéo d'une dizaine de jeunes femmes à un match de baseball. Elles ne regardent pas le match et prennent plutôt des égoportraits pendant de longues minutes, sans se parler ou presque. C'est un condensé de tout ce qu'il y a de narcissique et d'individualiste dans notre époque. Tu l'as vu?

Non. C'est incroyable! J'étais au gala des Gémeaux pour la première fois et Éric Salvail a soulevé quelque chose dans son animation, que j'ai trouvée brillante. Il disait que la télévision, c'est un rendez-vous où tout le monde est dans son salon à regarder la même chose. Il en parlait comme quelque chose d'extraordinaire et c'est vrai que c'est extraordinaire. Mais il y a aussi quelque chose de profondément triste dans cette idée que l'on est chacun chez soi, à regarder peut-être la même chose, mais sans être ensemble.

En vivant des émotions chacun de son côté, pour en parler le lendemain autour de la machine à café...

Où est le véritable lieu commun aujourd'hui, sinon le centre commercial? Il n'y a pas tant d'endroits qui offrent cette possibilité de se retrouver. On vit vraiment en solitaires. Et je dirais même que parfois, on crée aussi comme artiste de façon solitaire. On se demande parfois où est le projet commun.

Les nouvelles technologies poussent de plus en plus vers cette solitude physique et cet individualisme...

J'imagine qu'il y a aussi du bon là-dedans. Les réseaux sociaux sont un peu comme un quartier général. J'ai fait le choix de quitter Facebook il y a un an et demi. Et c'est une des très bonnes décisions que j'ai prises, pour moi. Je n'étais pas particulièrement accro aux photos et aux statuts des gens, mais l'illusion d'être avec du monde, chez moi, ne me convenait plus. Je préfère être vraiment seule plutôt que de me faire croire que je suis avec les gens et que l'on partage quelque chose d'abstrait. Je préfère me concentrer sur le réel.

Je suis nouveau sur Facebook, qui correspond à bien des égards aux préjugés que je m'en faisais. Mais l'effet pervers des réseaux sociaux, c'est qu'on n'arrive plus à s'en passer. Je sais que j'ai un problème de dépendance à mon téléphone. J'en viens parfois à négliger des gens qui sont présents autour de moi - même mes enfants - pour échanger avec des gens qui, eux, ne sont pas là. C'est absurde.

Pour moi, cet engagement-là est primordial. Le manque de présence commence à être une réelle menace. Les gens sont là sans vraiment être là. Ils sont toujours rattrapés par la machine. Ça commence à devenir très inquiétant et sans doute à créer des sillons cognitifs dans le cerveau qui auront des impacts à long terme. Les gens perdent leur concentration. Les téléphones dans les salles de cinéma, c'est un phénomène épouvantable! Au théâtre, il y a quelque chose de presque archaïque, qui est de l'ordre du sacré et du cérémonieux, et qui me fait de plus en plus de bien. C'est un lieu où il n'y a pas beaucoup d'argent à faire - je parle du Québec -, ce qui élimine beaucoup de monde, et où tu ne peux pas ouvrir ton téléphone à moins d'être vraiment irrespectueux et irresponsable. Le théâtre est une belle réponse à tout ce qui est artificiel.

J'ai toujours trouvé que le théâtre était l'art à l'état pur. Il n'y a pas d'art plus vrai. Tu ne peux pas tricher. C'est pour ça que c'est rarement parfait.

Aujourd'hui, alors que tout est léché, ça fait du bien de voir ces imperfections au théâtre. C'est important qu'il y ait ce genre de terrain de jeu où l'on accepte les essais et erreurs. Il y a une recherche qui est encore permise au théâtre alors que c'est plus difficile au cinéma d'essayer de nouvelles choses.

Je repense à ce que tu disais à propos des réseaux sociaux. Cette idée d'un quartier général. J'y trouve aussi mon compte. Twitter est mon fil de nouvelles au quotidien. Mais je remarque comment, chacun étant désormais son propre média, cela nourrit bien des dérives narcissiques.

Il y a plein d'effets néfastes à ça. Notre rapport au téléphone intelligent, je le remarque moi aussi, nous empêche d'apprécier pleinement l'ennui. J'ai 30 minutes à perdre sur un plateau de tournage et plutôt que d'en profiter, je vais répondre à des courriels. Peut-on rester dans l'attente, dans l'observation, dans l'ennui?

Je remarque qu'il y a un ressac chez les gens de ta génération, qui reviennent à l'analogique, à toutes sortes de formes d'art qu'ils jugent plus authentiques. Il y a deux magasins de disques vinyles au coin de ma rue.

Je ne veux pas avoir l'air prétentieuse, mais, cette semaine, j'ai écouté un vinyle de Mahler, la Symphonie no 5, que je n'avais pas entendue depuis des années. J'écoutais ça en ne faisant rien d'autre, chez moi, en y donnant toute mon attention. C'est rare. J'espère que les gens vont en avoir assez de ce tourbillon technologique, de ce que le monde est devenu depuis cinq ans. Je me dis que ça ne peut pas continuer comme ça.

Ou ça va s'empirer et on finira par mesurer l'étendue des effets néfastes de ces dépendances technologiques.

L'engagement de chacun, de sa propre présence et de sa propre conscience va devenir quelque chose de très précieux. Juste passer une journée à faire ce que tu as à faire, à résister aux distractions, est devenu difficile. On ne se satisfait plus de ce qui nous semble banal: les sons, les sensations, ce qui est vrai. On vit dans un état perpétuel d'insatisfaction et on se réfugie dans le virtuel, qui n'est jamais très satisfaisant.

Comme si on avait tous développé des troubles d'attention.

Je suis une romantique. J'apprécie la poésie quotidienne. Recevoir une lettre, c'est devenu extraordinaire. Ou recevoir un coup de téléphone plutôt qu'un texto. Prendre la peine d'établir un contact véritable.

La plupart des lettres manuscrites que je reçois proviennent de personnes âgées qui veulent m'insulter... (Rires) C'est vrai que la lettre, c'est un art qui se perd.

Je suis désolée, mais le texto d'amour n'arrive pas à la cheville de la lettre d'amour!