Malgré une brillante carrière échelonnée sur près de quatre décennies, Carl Béchard demeure l'un des acteurs comiques les plus méconnus du Québec. Cette semaine, il reprend son rôle du Dr Gustave Moricet dans la comédie de boulevard Monsieur chasse! de Georges Feydeau.

Ceux qui l'ont vu dans le rôle de mère Ubu ou dans l'Oulipo Show s'en souviennent encore, c'est sûr. Vous avez peut-être aussi entendu sa voix - il a entre autres doublé les voix de Rowan Atkinson, Bill Murray et Robert Downey Jr. Le fait est que depuis près de 40 ans, Carl Béchard combine habilement parole et geste dans des comédies épiques.

Si l'acteur natif de Carleton a été un pilier du Théâtre Ubu, fondé par son ami Denis Marleau, c'est dans les pièces de Molière (Les femmes savantes, Les fourberies de Scapin) et de Feydeau (Le dindon, La puce à l'oreille) qu'il s'est montré le plus éblouissant ! Pourtant, peu de gens sauraient le reconnaître... Comment se fait-il que Carl Béchard soit encore aujourd'hui si peu connu?

«Je fais surtout du théâtre et j'enseigne au Conservatoire, ce qui fait que je suis peut-être moins visible, se défend l'acteur, amusé. J'ai fait un peu de télévision [Virginie, 4 et demi, Les Bougon] et de cinéma [La conciergerie, Le siège de l'âme], mais j'ai toujours voulu faire du théâtre. Ce n'est pas parce que je ne voulais pas faire le reste...»

L'importance de l'insignifiant

Du théâtre, donc, mais pas n'importe lequel. Des comédies de situation, farces et vaudevilles aux multiples rebondissements, où le jeu est souvent très physique.

«Ce qui m'attire dans ces comédies, c'est l'absurdité des situations, indique Carl Béchard. Feydeau disait que la comédie était une situation tragique réfractée par le comique. Moi, c'est le fait de donner de l'importance à des détails insignifiants que je trouve drôle. Le fait de s'investir à fond dans des situations superficielles, dans des drames anodins, puis d'en démultiplier l'impact.»

Le regretté Paul Buissonneau a été, à cet égard, l'une de ses nombreuses sources d'inspiration. «Il maîtrisait cet art du théâtre très théâtral, où chaque détail devient hyper important, explique le comédien, qui a partagé la scène avec d'autres grands acteurs comiques comme Alain Zouvi. C'était quelqu'un de très rigoureux, avec une grande sensibilité, mais aussi une grande folie.»

Le défi est tout de même de taille: comment faire rire le public, malgré le jeu caricatural de ces comédies populaires? «Il faut y croire, répond Carl Béchard. Il faut que ce soit vrai.»

«Il faut vivre les situations comme s'il s'agissait de drames humains, et puis il faut que le public soit complice. Chaque personnage doit croire que le public est de son bord!»

Le comédien a le rire facile. «Je ne fais pas ce métier pour souffrir, avoue-t-il. C'est vraiment un plaisir et j'espère que les gens partagent ce plaisir. J'ai toujours vu la vie comme une bande dessinée.»

Son intérêt pour le théâtre lui a été transmis bien involontairement par ses parents. Sa première pièce de théâtre, il l'a vue à l'âge de 6 ans au Théâtre de Carleton, en Gaspésie. Une production «amateure» du Malade imaginaire, de Molière, dans laquelle jouaient son père Albert Béchard - qui a été député libéral fédéral dans la circonscription de Bonaventure - et sa mère Lucette Fortin!

Monsieur chasse!

C'est Denise Filiatrault qui a voulu remonter ce Monsieur chasse! créé il y a 16 ans au Théâtre St-Denis, avec ses deux vedettes d'origine: Carl Béchard et Diane Lavallée. Une comédie de moeurs, comme Feydeau en avait le secret, où le bon Dr Moricet tente de séduire la femme de son «ami» Duchotel, Léontine, en lui faisant valoir les infidélités de son mari...

«C'est un vrai cadeau pour moi de reprendre cette pièce», confie Carl Béchard, qui dit avoir eu un «électrochoc amoureux» pour Denise Filiatrault lors de la création de 1999.

«J'aime son sens du comique, de la vérité dans le comique, précise-t-il. Elle y tient beaucoup. Elle rit en répétition, mais elle est sérieuse dans ses indications. C'est une très bonne actrice, ce qui fait qu'elle sait très bien dire ce qu'elle veut et en faire la démonstration. C'est toujours très clair. Elle sait quand il faut en faire un peu plus ou un peu moins.»

Carl Béchard nous ramène invariablement au génie comique de Feydeau. «Antoine Vitez disait: "Feydeau, c'est des vers." Dans Feydeau, il n'y a pas un mot ou un son qui est écrit pour rien, pas même un "ah!" ou un "euh!", estime-t-il. C'est vraiment rythmé comme une partition musicale. La mécanique des situations, qui contiennent une foule de détails, est aussi géniale. Tout est lié.»

Sa collaboration avec Denis Marleau est loin d'être terminée. Le printemps prochain, Carl Béchard refera équipe avec lui au Rideau Vert dans Les diablogues, de Roland Dubillard. D'autres projets de théâtre avec Marleau seront annoncés dans les prochains mois. Des pièces où il y a de la comédie, insiste-t-il.

«Ça peut être une tragédie, mais il faut qu'il y ait un aspect comique, détaille Carl Béchard. J'ai joué dans Les Troyennes, et c'était une expérience formidable, rappelle-t-il, mais ça ne m'est pas arrivé souvent. Ce n'est pas là que la nature m'appelle...»

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Au Théâtre du Rideau Vert du 15 septembre au 10 octobre.