Marie Brassard et Monia Chokri avaient travaillé ensemble sur La fureur de ce que je pense, autour de l'oeuvre de Nelly Arcan. Elles se retrouvent avec un réel plaisir pour un solo créé par Marie Brassard il y a 10 ans. Peepshow célèbre une parole de femme singulière et trop rare sur nos planches.

Vous avez joué Peepshow un peu partout, Marie Brassard, mais vous avez décidé d'occuper uniquement le siège de metteure en scène cette fois-ci.

Marie Brassard: C'est très agréable pour moi de prendre du recul et de voir Monia évoluer dans cette création. J'aime pouvoir mettre en évidence le caractère surréel et excentrique de cette production. J'ai du plaisir à faire une partition entre la lumière, la musique et le jeu pour que ça devienne un ensemble homogène où tout est interdépendant.

Le personnage principal, Beautiful ou Petit chaperon rouge, s'ouvre à toutes sortes d'expériences dans la pièce. Ça ressemble à un récit d'apprentissage?

Marie Brassard: Il y a beaucoup de choses liées au désir et à l'érotisme, mais pas seulement. C'est une ode à l'excentricité, à l'audace, à la curiosité sous toutes ses formes. Je pense beaucoup à ça ces temps-ci: l'expression de ce qu'on est. Beautiful cherche à se développer en accord avec ses pulsions et sa vérité.

Monia, vous aimez travailler avec Marie?

Monia Chokri: J'aime beaucoup Marie. C'est l'une des personnes, sinon la personne, que j'admire le plus au théâtre au Québec. On ne voit pas assez son travail ici. L'idée d'un solo m'effrayait, mais la peur n'est pas une raison suffisante pour dire non. C'est un théâtre qui me ressemble, celui que j'ai envie de voir et de défendre. Marie apporte une dynamique au théâtre québécois qui change les règles du jeu.

Dans quel sens?

Monia Chokri: Quand j'ai vu La noirceur [2003] de Marie, c'était quelque chose que je n'avais jamais vu au théâtre. C'est une porte qui s'est ouverte. Il y a une manière différente de jouer, qui n'est pas dans la performance et que je trouvais moderne. Ce que Marie raconte, c'est qu'on peut voir le monde d'un autre point de vue.

Vous faites les voix de tous les personnages. C'est un tour de force, non?

Monia Chokri: C'est très technique, en fait. J'ai un micro et la voix est transformée. Mon corps se module par rapport à la voix, qui est l'âme du personnage. Dans La fureur de ce que je pense, on avait travaillé avec des micros aussi. Le rapport au spectateur est plus intime. Les gens entendent tout. Il y a quelque chose de très fragile là-dedans.

Depuis 10 ans, l'internet a changé bien des choses. Est-ce que le propos de la pièce reste actuel?

Marie Brassard: Je ne suis pas certaine que les choses ont changé tant que ça. Tout le monde a accès à tout. Internet permet aux excentriques de se retrouver entre eux, mais, au chapitre de la pensée, je ne crois pas que les choses ont changé.

Monia Chokri: Je crois même qu'internet uniformise la pensée. Dans Peepshow, on reste dans le domaine de l'intime. On parle de situations de vie et d'expériences physiques très personnelles. C'est une notion importante qui n'existe plus sur l'internet.

Qu'est-ce que cela dit sur la vision qu'a la société des excentriques?

Marie Brassard: Je ne porte pas de jugement dans l'écriture. On est tous des êtres uniques, mais on n'a pas tous l'occasion de laisser libre cours à ses excentricités, et c'est dommage. Dans la profondeur de notre solitude, nous avons tous une créature excentrique qui veut vivre et pour qui il est dur de vivre dans une société comme la nôtre.

Monia Chokri: En Occident, on fonctionne beaucoup dans la peur. Les gens s'enferment, ils ne veulent plus changer les choses. Ce n'est pas justifié. Dans la peur, tu ne veux pas être différent, tu veux t'effacer. C'est comme dire: «Si tout le monde est pareil, on va être bien».

En tout cas, la curiosité ne tue pas dans la pièce?

Marie Brassard: Le choix du Petit chaperon rouge n'est pas anodin. Au départ, c'est l'histoire d'une petite fille qui désobéit par curiosité. C'est un conte assez érotique qui célèbre l'esprit d'aventure et qui invite à vivre hors du commun.

Monia Chokri: Et si j'écoutais ce que j'ai dans le coeur, et si je suivais ma volonté, jusqu'où irais-je? Toute personne a déjà songé au moins une fois dans sa vie à tout laisser tomber et à faire ce dont elle a vraiment envie. C'est l'audace de ce spectacle. Demander si on est en phase avec ce qu'on veut faire et dire au monde.

___________________________________________________________________________

À Espace Go du 15 septembre au 10 octobre.