Le Théâtre de Quat'Sous ouvre sa nouvelle saison cette semaine avec La cantate intérieure, huis clos à la frontière du théâtre et de l'installation sonore et visuelle. Discussion avec l'auteur Sébastien Harrisson et la metteure en scène Alice Ronfard.

Alice Ronfard a du flair. Depuis quelques années, la metteure en scène, qui a notamment monté Une vie pour deux, d'Evelyne de la Chenelière, et qui enseigne à l'École nationale de théâtre depuis 20 ans, a contribué à l'éclosion de plusieurs jeunes créateurs au cours des dernières années.

Emmanuel Schwartz, Mani Soleymanlou, Sébastien Harrisson ont tous fait appel à elle à leurs débuts, alors qu'ils avaient encore un pied à l'École. Alice Ronfard parle de «rencontres artistiques». «C'est le théâtre de demain que je trouve intéressant», admet d'emblée la fille de Jean-Pierre Ronfard.

La forme théâtrale privilégiée par ces jeunes créateurs n'est pourtant pas de tout repos. «Il n'y a pas de dialogues traditionnels, ce sont souvent des objets abstraits auxquels il faut donner un sens, dit Alice Ronfard. Mais je légitime toujours leur liberté. Parfois, je pense que suis plus pétée qu'eux autres!»

Sébastien Harrisson, qui dirige le Théâtre des deux mondes depuis deux ans, a travaillé avec Alice Ronfard pour la première fois en 2000 pour la création de sa pièce Floes. Depuis, chacun a suivi son petit bonhomme de chemin, Harrisson se faisant notamment remarquer avec L'espérance de vie des éoliennes ou Stanislas Walter Legrand.

En 2012, il a écrit La cantate, pièce dans laquelle il a imaginé une installation artistique. Une idée inspirée d'une visite au Mass MoCA (Massachusetts Museum of Contemporary Art) situé dans une zone industrielle. «J'avais été frappé par le contraste entre ce musée hypercontemporain installé dans une ville désaffectée. C'est ce qui m'a donné envie de mettre en scène cette installation in situ.»

«J'ai pensé à Alice parce que je sais qu'elle a un intérêt et une passion pour les arts visuels [elle a été formée à l'École des beaux-arts], poursuit Sébastien Harrisson. Je l'ai contactée pour la lecture publique de la pièce il y a deux ans, et puis on a décidé de travailler ensemble sur la production.»

Installation sonore et visuelle

L'action se déroule dans un immeuble. Un homme entre dans l'un des appartements, s'assoit dans l'unique fauteuil de la pièce et allume la lampe placée juste à côté. Une bande sonore s'active. On y entend la voix d'une femme (interprétée par Dorothy Berryman), qui fait le récit d'une mère s'adressant à son enfant.

L'homme, interprété par Stéphane Jacques, fera la connaissance de l'artiste à l'origine de cette installation, une certaine Zoé Lowandowski - qui sera interprétée par la jeune comédienne Marie Bernier. La cantate intérieure, qui désigne l'installation, est un huis clos entre cet homme, débarqué là par hasard, et l'artiste.

«Ce que j'aime dans cette pièce, c'est bien sûr l'approche de l'art, nous dit Alice Ronfard, mais aussi comment l'art transforme l'anonyme. Moi, ça m'obsède. Qu'est-ce qui fait que quelque chose va toucher une personne? À son insu? Nous sommes confrontés à ça aussi au théâtre.»

L'homme qui travaille comme messager et qui retourne sans cesse voir cette installation se dévoilera peu à peu. L'artiste, quant à elle, cherchera à comprendre ce qui touche le visiteur. À un moment, il lui balancera: «La vérité, c'est que vous voulez que je vous parle de vous, de vous et de votre art...»

Théâtraliser ce huis clos au coeur d'une installation à la fois sonore et visuelle n'a pas été facile. «C'est un jeu de transfert, précise Alice Ronfard. Lui va finir par comprendre l'artiste et elle va plonger à cause de lui dans son histoire personnelle et se rendre compte de sa futilité. C'est ce qu'elle va devenir après qui est intéressant.»

Départager le vrai du faux

L'histoire fictive imaginée par l'artiste correspondra donc à l'histoire personnelle de l'homme. «À un moment donné, on se demande même si l'homme ne fait pas partie de cette installation, indique Sébastien Harrisson. Dans le travail de mise en scène d'Alice, on ne sait plus qui a inventé qui.»

Dorothy Berryman, qui interprétera la voix, apparaîtra également sur scène. «On voulait que sa voix s'incarne progressivement sur scène», nous dit Sébastien Harrisson. «Elle apparaît à un moment surréaliste, renchérit Alice Ronfard, comme si l'homme la fait apparaître, parce que c'est son fantasme.»

Alice Ronfard fera de nouveau équipe avec le scénographe Gabriel Tsampalieros, qui a travaillé sur presque tous ses projets depuis 12 ans. «J'ai eu un véritable coup de foudre artistique pour Gabriel pendant qu'il étudiait à l'École. J'ai attendu qu'il sorte pour travailler avec lui.»

La scénographie de La cantate s'est avérée essentielle, puisqu'il s'agissait de créer une véritable installation, à l'image de ce que Sébastien Harrisson a décrit en mots.

«On s'est entre autres inspiré des fenêtres d'Edward Hopper, indique Alice Ronfard. Grâce à un petit plateau tournant, on change aussi de point de vue. Ce qu'on voulait, c'était de voir le carnet de croquis de l'artiste. On s'est donc servi des dessins et des peintures de l'artiste Éric Gagnon, qui seront projetés sur scène.»

«Sébastien travaille beaucoup sur l'idée de l'intuition. C'est ce qui est le plus difficile à traduire dans la pièce, conclut Alice Ronfard. C'est l'intuition de l'anonyme qui donne un sens à quelque chose que l'artiste n'a pas imaginé du tout. Ce quelque chose qui passe par l'inconscient collectif. C'est ça qui est fascinant.»

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Du 31 août au 11 septembre au Quat'Sous.