Sur une bannière géante du Festival TransAmériques (FTA), affichée dans le Quartier des spectacles, on peut lire cette citation d'Antonin Artaud : «Le plus bel art est celui qui nous rapproche du chaos.» Et le Tartuffe de la Schaubühne, présenté jusqu'à demain au Monument-National, est une expérience totalement chaotique. Un spectacle hallucinant, décoiffant, déstabilisant. Mais aussi agaçant.

La proposition de Michael Thalheimer aura de quoi réjouir les amateurs de théâtre extrême. Toutefois, ceux qui croient que l'art sert aussi à organiser le chaos resteront sur leur faim. Car le metteur en scène allemand détourne tellement le sens de la pièce, la psychologie des personnages, qu'il finit par évacuer le drame en cours de route.

L'action est portée par une distribution remarquable qui joue dans un registre survolté. Les acteurs évoluent dans une scénographie aussi surprenante que magnifique : une grosse boîte carrée qui pivote, avec un fauteuil noir et l'inévitable crucifix accroché au centre du décor.

Les situations frisent le grotesque, la farce et le clownesque. Or, l'atmosphère demeure oppressante, avec des éclairages blafards et une musique assourdissante : chaque scène se conclut avec un riff de guitare électrique. 

Quand il a écrit Tartuffe, en 1664, Molière avait des comptes à régler avec les bigots et les faux dévots qui étaient influents à la cour de Louis XIV. Ces hommes d'Église critiquaient le libertinage et les moeurs bourgeoises. À leurs yeux, le pire péché était de s'afficher comme un libre penseur!

Nouveaux hypocrites

Molière a donc créé le personnage de Tartuffe, figure emblématique du manipulateur hypocrite. Ce dernier va séduire le croyant Orgon, un père de famille malheureux et incompris des siens. Il est remarié à une femme plus jeune qui ne l'aime pas, ses enfants sont stupides, sa mère est folle. Or, dans la relecture de Thalheimer, ce n'est pas Tartuffe ni Orgon qui sont hypocrites et ridicules... mais tous les autres personnages! 

Le meilleur résumé de Tartuffe, à notre avis, c'est Stéphane Braunschweig qui l'a fait lorsqu'il a monté la pièce au Théâtre national de Strasbourg, en 2008 : «C'est l'histoire d'un homme qui ne va pas bien (Orgon) et qui en rencontre un autre (Tartuffe), très habile à manipuler ceux qui ne vont pas bien...»

Ici, Tartuffe a un look de Jesus Christ Superstar sur l'acide! Interprété avec rage par le très physique Lars Eidinger, cet intrus n'a rien de charismatique. Il entrerait chez vous que vous lui montreriez aussitôt la porte. 

Peut-on survivre à un monde sans Dieu? Telle est la question au coeur du chef-d'oeuvre de Molière. Sans prétendre offrir de réponse définitive, Michael Thalheimer semble avancer que le chaos est le revers de la foi. Au bout du compte, sa relecture démonte la pièce, et nous lance face à un grand vide.