Son adaptation du Tartuffe de Molière est l'un des spectacles les plus attendus du FTA. Une relecture complète de l'oeuvre dans laquelle Tartuffe, au lieu de manigancer et de mentir comme dans la pièce originale, dit absolument tout ce qu'il pense. La Presse en parle avec le metteur en scène allemand Michael Thalheimer.

Ce n'est pas la première fois que vous adaptez des classiques. Vous l'avez fait pour Tchekhov, Büchner, Schiller... Qu'est-ce qui vous a interpellé chez Molière?

C'est vrai que je suis très connecté sur les textes du passé, je trouve qu'ils nous disent beaucoup de choses sur ce que nous sommes aujourd'hui, beaucoup plus que les pièces contemporaines. Molière a écrit cette pièce pour nous mettre en garde contre les prophètes, mais je trouve qu'elle nous éclaire sur ce que nous sommes devenus.

Que sommes-nous devenus? Quel est l'intérêt de cette pièce?

Avec Le Tartuffe, il y a cet étranger qui s'immisce dans une famille bourgeoise. Chez Molière, il s'agit d'un homme fourbe qui veut dépouiller cette famille de ses biens. Il se présente comme un dévot, mais il ment pour arriver à ses fins. Dans ma pièce, il ne ment pas, au contraire, il dit la vérité toute crue aux membres de cette famille, qui est un microcosme de la société et qui ne croit en rien.

La pièce de Molière est pourtant construite sur les manipulations de Tartuffe... Avez-vous réécrit des passages?

Non, mais j'ai coupé de nombreux segments. Au début, j'ai aussi ajouté des passages de l'Ancien Testament. Tartuffe nous rappelle le sens des Écritures. Regardez cette famille! Elle ne croit qu'à l'argent et aux plaisirs éphémères, mais ce n'est pas assez quand on vit en société. Ce n'est pas ça, le bonheur.

Vous avez fait de lui un héros?

Non, il n'est pas un héros. Tartuffe demeure un trou du cul. Un beau prophète aux allures de rock star, qui poursuit les mêmes buts que le personnage de Molière: il veut s'emparer de la maison d'Orgon, il veut son argent, il veut séduire sa femme, il veut tout avoir, mais il prétend avoir droit à tout cela parce qu'il croit défendre des valeurs qui sont supérieures aux leurs. Tartuffe leur montre toute l'étendue de leur égoïsme et de leur hypocrisie.

Dans la pièce de Molière, le personnage d'Orgon est complètement obnubilé par Tartuffe, contrairement au reste de sa famille...

Orgon croit en Tartuffe parce qu'il hait sa famille. Il déteste sa femme et ses enfants, il n'en peut plus d'eux. La femme d'Orgon, Elmire, comprend très bien Tartuffe. Sa tentative de séduction lui fait réaliser à quel point elle est malheureuse avec son mari. Elle n'est pas amoureuse de Tartuffe, mais il lui donne à voir la triste réalité de sa vie.

Le personnage de la servante Dorine est très intéressant parce qu'elle lit bien le jeu de Tartuffe. Vous avez conservé ce personnage?

Oui! Elle est brillante, elle sait qui est Tartuffe, mais elle n'intervient pas, parce qu'elle est aussi malheureuse. Mais Tartuffe finit par la détruire elle aussi, parce qu'il lui rappelle ses échecs amoureux, tout comme les moments heureux de sa vie. Au fond, il détient les clés de tous les personnages pour leur ouvrir des fenêtres sur leur passé ou leur futur.

Qui représente bien Tartuffe aujourd'hui?

Je ne sais pas. Je ne cherche pas une incarnation de Tartuffe. Pour moi, c'est un personnage qui ne peut vivre qu'au théâtre. C'est l'idée de Tartuffe qui m'intéresse. Son côté destructeur. La vérité crue qui nous ouvre les yeux pour changer quelque chose dans nos vies...

Au fond, votre Tartuffe est mi-Dieu, mi-démon...

Oui, je crois que ça le décrit bien. On ne peut pas penser Dieu sans le diable; et le diable sans Dieu. Il emprunte leurs deux faces.

La pièce de Molière est une comédie. Or, vous me corrigerez, mais tout cela est plutôt sombre...

Oui, c'est sombre. Je ne suis pas réputé pour mes comédies... Cela dit, je suis convaincu qu'à la base, Molière a écrit un drame. Il critiquait la monarchie et les valeurs de la société de son époque, mais il devait présenter sa pièce devant le roi, donc ça n'a pas été facile pour lui. Il a écrit une comédie, mais finalement, il n'y a rien de drôle dans sa pièce.

Le Tartuffe de Molière se termine par un happy ending puisqu'il se fait arrêter. Pas le vôtre...

Non. Il n'y a pas de happy ending dans ma pièce. La scène tourne et tourne parce que le monde bascule. Un monde de changements, c'est ce que Tartuffe laisse derrière lui. Un monde où l'on est coincé, prisonnier, où l'on ne sait plus distinguer la droite de la gauche, le haut du bas. Il nous laisse seuls avec beaucoup de questions.

Au Monument-National, du 22 au 24 mai.