Bon an, mal an, Muriel Dutil monte sur les planches avec la constance du jardinier. Chaque fois, l'actrice d'expérience, qui a participé à plus de 80 productions théâtrales, fait mouche. Dans une rare entrevue, la comédienne, que l'on pourra voir au Prospero cette semaine, revient sur ses 45 ans de vie artistique.

Muriel Dutil avoue d'emblée ne pas être portée à accorder des entrevues. Pour ne pas se faire reconnaître dans la rue, dit-elle. «Je suis une coureuse de fond, je n'aime pas m'arrêter... Mais parlez-moi de vous! Vous êtes journaliste depuis combien de temps?», lance-t-elle, taquine. L'expérience de cette actrice de 71 ans est pourtant riche et longue...

Au cours de la dernière année seulement, on l'a vue dans trois productions théâtrales - Opening Night adaptée par Fanny Britt, Le dénominateur commun de François Archambault et Ennemi public d'Olivier Choinière - ainsi que dans la série télé Nouvelle adresse dans le rôle de la mère de Nathalie Lapointe (Macha Grenon).

«J'ai toujours beaucoup travaillé, avoue-t-elle candidement. J'ai beaucoup d'énergie; c'est un cadeau de la vie. J'ai la santé pour le faire. Plus je roule, plus ma batterie se recharge! Mais je suis très disciplinée, très organisée. Le matin, je mémorise toujours mes textes, c'est le meilleur moment pour moi pour travailler, et je fais de la gymnastique sur table au moins trois fois par semaine depuis 30 ans!»

En vérité, depuis sa sortie du Conservatoire en 1970, Muriel Dutil n'a jamais arrêté de jouer.

Au théâtre comme à la télé, elle a multiplié les rôles. Il a fallu un accident en 1989 - elle s'est fait heurter par une voiture - pour qu'elle se trouve en congé forcé. Et encore, ce fut une pause de courte durée puisqu'elle a continué à jouer dans la série télé Jeux de société avec des béquilles. Peu de temps après, l'auteure Paule Marier lui a proposé un rôle en fauteuil roulant dans le téléroman Tandem.

«J'ai pensé que je serais handicapée à vie, confie-t-elle. Ça m'a pris trois ans pour m'en remettre, j'ai eu quatre chirurgies, mais j'ai eu la chance de pouvoir continuer de travailler. J'adore jouer et, plus je vieillis, plus j'aime ça! Au théâtre, à la suite de mon accident, j'ai obtenu des rôles de femmes plus âgées parce que je marchais avec une canne... Et puis ça s'est poursuivi. Le passage à vide des actrices de 40 ou 50 ans, je n'ai pas connu ça.»

Le fruit du labeur

De la chance, elle en a peut-être eu, mais nombreux sont les comédiens et metteurs en scène qui vantent sa capacité de travail.

L'auteur et metteur en scène Olivier Choinière a dirigé Muriel Dutil dans deux de ses pièces: Félicité, en 2007, et Ennemi public, créée il y a quelques mois au Théâtre d'Aujourd'hui. Deux projets de création où il a pu voir l'actrice à l'oeuvre. «C'est une femme qui est toujours dans la recherche, le questionnement et le renouvellement, nous dit-il. C'est une vraie de vraie insatiable. Dès sa première lecture, elle touche à quelque chose, mais elle ne se contente jamais de ça. Elle va continuer à chercher dans tous les sens pour être dans la vérité de son personnage», ajoute-t-il.

L'expérience et le travail. Deux atouts considérables, estime le metteur en scène, fasciné par la curiosité et la minutie de l'actrice.

«Entre les lignes du texte, Muriel écrit son sous-texte. Toutes les pages sont annotées. Elle décrit les états émotifs de son personnage dans le menu détail. Le résultat est toujours juste. Justement parce qu'elle trouve la vérité de son personnage. C'est vraiment une de nos grandes comédiennes de théâtre.»

Théâtre de création

Certains grands acteurs aiment se mesurer à des rôles mythiques du théâtre de répertoire. Muriel Dutil, elle, a toujours préféré les créations.

Cette semaine, on pourra la voir dans le drame familial Les têtes baissées, premier texte du comédien Mickael Lamoureux. «Je l'ai lu à Zone Homa il y a deux ans et ç'a bien été. C'est bien écrit, bien structuré. Lorsque Mickael m'a demandé de jouer dans la pièce, j'ai eu envie de l'encourager parce qu'il a du talent.»

Dans Les têtes baissées, Thomas, jeune homme au début de la vingtaine, s'en prend à sa mère en multipliant les reproches. Celle-ci finira par lui révéler un secret de famille, qui le perturbera. Muriel Dutil y interprétera la nouvelle conjointe du grand-père de Thomas. «Une femme qui dit des choses horribles», nous dit-elle.

Passer inaperçue

À la télé, Muriel Dutil a notamment joué dans La promesse, Le gentleman, mais aussi dans Virginie pendant sept ans. Au théâtre, elle a été marquée par la pièce Le temps d'une vie, de Roland Lepage, qu'elle a jouée 300 fois, mais aussi par Grace et Gloria de Tom Ziegler et Avec Norm, de Serge Boucher, qu'elle a jouée au Rideau Vert.

On ne l'associe pourtant à aucun rôle en particulier. «J'ai toujours choisi des rôles qui étaient aux antipodes, confie-t-elle. J'aime les déguisements, les histoires; je fais tout pour disparaître derrière mes personnages. C'est peut-être pour ça que je ne donne pas d'entrevues, pour éviter qu'on me reconnaisse...»

Au fil des ans, Muriel Dutil, avoue avoir toujours choisit ou avoir été choisie pour des projets qui lui correspondaient bien. «J'ai choisi de faire ce métier par amour, donc j'ai toujours fait ce que j'avais envie de faire, dit-elle. Ma quête a toujours été d'être le plus proche de la vérité possible. C'est à ça que je travaille.»

En 2012, elle a été de nouveau renversée par une voiture. «Je dois être invisible», dit-elle en s'esclaffant. Encore une fois, elle s'est remise sur pied après une année de rééducation. Aujourd'hui, Muriel Dutil se dit toujours aussi passionnée par le théâtre. Elle dit vouloir continuer de faire rire et d'émouvoir... et sans doute de passer inaperçue.

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Au Théâtre Prospero du 21 avril au 9 mai.