Pour son grand retour sur scène, Robert Lepage a renoué avec sa marque de commerce, dans laquelle il excelle, le solo. À Nantes, en France, avait lieu hier soir l'avant-première de la nouvelle pièce de l'auteur-metteur en scène-acteur, intitulée simplement 887.

Plus qu'une réflexion sur la mémoire, personnelle et collective, 887 nous amène dans les souvenirs d'enfance de l'auteur, qui habitait, de 1960 à 1970, avec sa famille dans un appartement du 887, rue Murray, à Québec.

Véritable leçon d'histoire politique et sociale d'un Québec en pleine effervescence, la pièce est scénarisée comme un monologue, ou même une conférence donnée devant une foule captive.

À travers des anecdotes, Robert Lepage raconte son enfance, son admiration pour un père trop souvent absent, sa grand-mère atteinte d'Alzheimer, ses voisins, reflet de la société de l'époque - 80% de francophones, une poignée d'anglophones et de rares immigrants.

Le ton est très personnel, avec quelques coups de gueule contre les injustices sociales, d'alors ou d'aujourd'hui, et de nombreux rappels historiques, de la visite de Charles de Gaulle à Québec et Montréal aux attentats du FLQ et à la Loi sur les mesures de guerre.

Hommage à Québec

Lepage rend aussi, par cette pièce, un vibrant hommage à la ville qui l'a vu naître et grandir, Québec, rappelant des événements que le public français ne devrait pas connaître, mais qui ont secoué la capitale, comme l'arrestation du tueur en série Léopold Dion, dans les années 60.

La mise en scène, les décors démontrent encore une fois le grand talent de l'artiste. Sous la forme d'un immeuble d'habitation anodin des années 60, dans le quartier Montcalm à Québec, une boîte à souvenirs se développe et se transforme, tantôt en bibliothèque, tantôt en cuisine branchée, et ne cesse de faire apparaître d'autres décors dans le décor, avec des jeux de lumière et autres prouesses scéniques qui font revivre ses personnages. 

Après le grandiose de certaines de ses dernières oeuvres, Robert Lepage intègre ici le miniature et utilise habilement la technologie (notamment son téléphone intelligent) pour nous transporter dans les souvenirs de l'enfant qu'il était.

Devant un public français, la pièce, résolument «québécoise», est surprenante. Et déjà, elle a nécessité un ajustement, a expliqué l'auteur à La Presse, à la sortie du Lieu unique, le centre culturel où était présentée 887.

«C'est un spectacle qui a été improvisé en québécois. Et tout à coup, on arrive ici et on se dit: «Oh, il faut adapter le langage», a dit Robert Lepage. En jouant, on se demande si les gens vont comprendre. Il faut faire des choix de mots.»

À juste titre. Lorsqu'il utilise pour la première fois l'expression, très connue dans le monde des médias, de «viande froide», le public ne réagit pas. Mais somme toute, il s'est dit satisfait de ce nouveau départ. «La peinture est fraîche, a dit l'auteur. On vient de mettre le spectacle au monde.»

La société québécoise

Présent à l'avant-première, le délégué général du Québec à Paris, Michel Robitaille, jubilait à l'issue de la pièce, lui qui a grandi à quelques pas de la rue Murray, où habitait Lepage. «C'est vraiment l'évolution de la société québécoise qu'il raconte. J'ai revu mon enfance», a-t-il lancé.

À plusieurs reprises dans la pièce, le dramaturge et metteur en scène s'interroge sur la mémoire, dans le cadre du travail du comédien, mais aussi dans ce nouvel univers technologique où on ne connaît même plus son propre numéro de téléphone. À 57 ans, après un monologue de près de deux heures avec très peu de silences, force est de constater que la mémoire de Robert Lepage semble parfaitement intacte.