Depuis quatre ans, dans de petites salles parisiennes et des festivals en province, la comédienne française Cécile Magnet joue avec engagement et virtuosité deux des plus beaux personnages du théâtre de Michel Tremblay: Marie-Lou et Laura Cadieux. Et défend bec et ongles l'oeuvre de l'auteur des Belles-soeurs dans l'Hexagone.

Elle n'a pas du tout le physique de Ginette Reno ou de Lise Dion. Et pourtant... La comédienne française Cécile Magnet incarne avec autant de verve et de justesse qu'elles Laura Cadieux. Sur la scène d'un petit théâtre du boulevard Strasbourg, l'Archipel, sa mère Cadieux parle beaucoup, sacre souvent et gronde son «ti-gars» avec les mots de Tremblay, à l'exception du joual. Il aurait été ridicule d'essayer de changer d'accent.

Archétype de la grosse femme de caractère, à l'humour grivois et au grand coeur, Laura Cadieux est le second personnage de Tremblay que l'actrice défend à Paris. En 2011 et 2012, elle avait pris les traits tragiques de Marie-Louise, au Folie Théâtre (qu'elle a incarnée 270 fois). En juillet, elle reprendra ces deux personnages en même temps au Festival OFF d'Avignon.

Or, cette actrice - venue au Québec dans les années 80 pour une production mettant en vedette Jean-Paul Belmondo - ne connaissait strictement rien de Michel Tremblay... il y a 12 ans. Au début des années 2000, lors d'un spectacle de poésie, une amie comédienne lui présente Christian Bordeleau, un Québécois qui vit à Paris depuis 30 ans, et aussi ambassadeur du théâtre de Tremblay en France. Les deux forment le projet de monter À toi, pour toujours, ta Marie-Lou. Il faudra 10 ans avant que la production ne voie le jour...

«On a eu du mal parce qu'on n'a pas vraiment de producteur, qu'on travaille tous ailleurs et qu'on a des moyens d'artisans», explique l'actrice, peu connue en France malgré ses 35 ans de métier. «Avec le bouche-à-oreille, ça a fait boule de neige. On a organisé une petite tournée en France puis joué en Avignon.»

Coup de coeur

Du coup, la comédienne a plongé dans l'oeuvre de Tremblay.

«Un jour, je suis tombée sur le roman Laura Cadieux. J'ai tellement ri durant ma lecture, seule dans mon lit, se souvient-elle. Au-delà de l'humour, il y a dans ce texte tout ce que je veux raconter sur scène.»

Cécile Magnet en parle à Christian Bordeleau. Elle lui propose de l'adapter pour en faire un monologue, dans lequel la comédienne défend aussi une demi-douzaine de personnages, et d'en assurer la mise en scène, sans trop changer la couleur ni la saveur montréalaise du récit pour le public français. (Dans les années 80, la comédienne Manon Gauthier a aussi tiré un monologue qu'elle a présenté partout au Québec.) C'est ce spectacle qu'on peut voir à l'Archipel, jusqu'à la fin du mois d'avril.

«Tremblay exprime des choses profondes et vraies, voire essentielles, sans faire une thèse, avance la comédienne. Par exemple, sur la religion. Laura Cadieux fait une diatribe sur les "pisseuses" et conclut en disant: «De toute façon, tu peux pas leur parler... Elles ont le Bon Dieu de leur bord! " Avec une seule phrase, Tremblay résume tout l'enjeu de la religion dans l'histoire de l'humanité.»

«Lisez Tremblay!»

Selon la comédienne, apprendre Tremblay et se le mettre en bouche n'est pas plus ni moins difficile que pour un classique: «Que ce soit Racine, Montaigne ou Molière, ça reste du travail. On va au charbon! C'est quand même 50 pages de texte qu'il faut se mettre dans le citron.»

Et les réactions des Français devant les grivoiseries de la mère Cadieux? «Pour moi, Tremblay, c'est truculent, c'est rabelaisien. Le texte est très cru, mais jamais vulgaire. Quand Laura dit: «Je vais tirer une pisse», ça ne me choque pas. Hier soir, l'actrice Marie-Christine Barrault est venue nous voir et elle était morte de rire!», raconte la comédienne, en notant que, d'un soir ou d'une salle à l'autre, les réactions peuvent être très différentes. Comme au Québec.

Et pourquoi, selon elle, le théâtre de Tremblay ne perce-t-il pas plus en France? «C'est un mystère. Au Festival d'Avignon, l'été dernier, j'ai fait un prosélytisme terrible pour Tremblay. Je disais aux gens dans la rue: «Si vous ne pouvez pas venir voir ses pièces, achetez ses livres!»

«Je connais plein d'actrices françaises de ma génération qui se plaignent de ne jamais jouer, qu'il n'y a pas assez de rôles pour les femmes de 40, 50 ans et plus. Je leur réponds: «Mais lisez Tremblay! C'est une mine d'or pour les actrices. Il y a tous les personnages que vous voulez.» Rarement un auteur contemporain a écrit de si beaux rôles pour les femmes.»

C't'à ton tour, Laura Cadieux, au Théâtre l'Archipel, à Paris, jusqu'au 29 avril. Laura Cadieux et À toi, pour toujours, ta Marie-Lou, au Festival OFF d'Avignon du 4 au 26 juillet.