Le chemin des passes dangereuses en gigue? Une danse quétaine, dépassée? Pas du tout, répond la metteuse en scène Menka Nagrani. Et il est temps de s'en faire une fierté.

On a oublié que la devise du Québec est «Je me souviens». Pas Menka Nagrani. Elle se dit nationaliste et fière de l'être. Chercheuse de trésors, aussi. Elle a découvert la pièce de Michel Marc Bouchard, Le chemin des passes dangereuses, et l'a adaptée en gigue contemporaine.

«On n'est pas fiers de notre bagage au Québec, croit-elle. Il n'y a pas un Espagnol qui ne sait pas ce qu'est le flamenco, alors que les Québécois ignorent ce qu'est la gigue. Il y a un problème. C'est un matériau très riche. C'est notre identité, c'est notre culture. J'ai à coeur de mettre ces traditions de l'avant.»

Mère québécoise, père indien, Menka Nagrani est tout ce qu'il y a de plus atypique. Elle avait monté auparavant Pharmacon, sur un texte d'Alexis Martin avec des artistes présentant une déficience intellectuelle.

«Ce qui me préoccupe vraiment, c'est le conformisme, l'uniformisation qui vient avec la culture de masse, dit-elle. Comment peut-on être différents dans cette ère de mondialisation? J'ai fait cette pièce, Le chemin..., pour soulever des questions sur l'identité québécoise.»

Pièce en spirale

Il ne s'agit donc pas d'un choix à l'aveugle. Dans les didascalies, Michel Marc Bouchard a inscrit des [temps] comme s'il «avait prévu de la danse», pense la metteuse en scène, même si ce n'est pas le cas. Ce texte fonctionne en spirale, avec des répétitions.

«C'est la pièce parfaite. Elle est très rythmée avec beaucoup de répétitions, ce qui mène à la danse. J'ai cherché un effet hypnotique. C'est très circulaire comme pièce. Elle est écrite en boucle. Le camion fait des tonneaux, le père a été emporté dans un tourbillon. Donc, j'ai porté la spirale dans le corps et la chorégraphie.»

Le chemin des passes dangereuses met en scène trois frères qui subissent un accident là où leur père est disparu des années auparavant. Ce père qu'ils ont longtemps aimé détester mais avec lequel ils finissent par se réconcilier, comme ils finissent par parler d'une même voix, malgré des différences marquées entre eux.

«J'ai associé à la figure du père le patrimoine québécois folklorique, note Menka Nagrani. Les poèmes du père sont en chants traditionnels, les souvenirs, en gigue. Dans la pièce, on a honte du père, comme on a laissé mourir notre culture traditionnelle.»

Long processus créatif

Menka Nagrani a travaillé avec trois comédiens qui ont dû apprendre la gigue mais qui, heureusement, étaient déjà musiciens: Arnaud Gloutnez, Dominic St-Laurent et Félix Monette-Dubeau. N'empêche, le processus créatif a nécessité 50 auditions et 3 ans de travail!

«Le métissage, c'est long, ce n'est pas du collage, explique-t-elle. On essaie de créer un nouveau langage. Dans ce cas-ci, il y a double métissage. Il y a celui entre la gigue et la danse contemporaine, puis celui entre la danse et le théâtre. Donc, entre 400 et 500 heures de répétitions.»

La metteuse en scène de 36 ans, aussi danseuse et musicienne, se dit, pour cette raison, «très reconnaissante» envers ses acteurs.

«Au théâtre, je vois beaucoup de facilité. Ça va avec les diminutions de budget et notre époque fast-food. C'est une mode de tout ce qui est rapide. J'avais averti mes collaborateurs que ce ne serait pas facile, mais c'est ma façon de contrer cette culture de masse qui est dans le fast-food. Chercher un nouveau vocabulaire, une fusion, une proposition qui va au bout de quelque chose.»

Menka Nagrani est en quête de justice pour le patrimoine et de justesse dans le geste et la parole. La fusion des expressions dans un style renouvelé.

«La danse-théâtre que Pina Bausch nous a léguée est un style très dansé où il y a des effets théâtraux. On reste dans la danse contemporaine, donc le non-sens. Moi, c'est le sens qui m'intéresse. Plus il y a de couches de sens, plus ça m'intéresse.»

Au Théâtre Prospero du 17 au 28 février