Serge Denoncourt reprend la célèbre pièce de Tennessee Williams, Un tramway nommé Désir, en mettant au jour les pulsions sexuelles des personnages. Dans cette histoire immortalisée au cinéma par Marlon Brando et Vivien Leigh, Denoncourt a voulu montrer ce que Williams n'avait pu montrer. Un spectacle interdit aux moins de 16 ans.

Nous sommes à La Nouvelle-Orléans, en Louisiane, dans les années 40, dans un quartier modeste où vivent heureux Stella DuBois (Magalie Lépine-Blondeau) et son amoureux, Stanley Kowalski (Éric Robidoux), ouvrier d'origine polonaise qui «a une joie animale dans tous ses mouvements». Un jour de grande bise, Blanche DuBois (Céline Bonnier) débarque chez sa soeur Stella, vêtue d'une belle robe et parée de bijoux. Premier constat: elle ne cadre pas dans le décor. Mais que veut cette séductrice impénitente qui a quitté sa résidence de Laurel? Entretien avec Serge Denoncourt sur cette histoire de désir.

Blanche DuBois est un personnage mythique du théâtre. Quelle a été la plus grande difficulté dans la composition de ce rôle?

C'est un défi immense, comparable au rôle de Cyrano, que j'ai monté l'été dernier. C'est une partition en milliers de notes. Blanche DuBois séduit, elle est fragile, folle, déprimée, exaltée, elle pleure et elle rit, tout ça à une vitesse folle! L'actrice doit être un Stradivarius qui joue du Paganini avec une grande dextérité. Il a fallu que je détermine toutes les intentions du personnage avec Céline Bonnier. C'est le rôle le plus complexe que j'ai eu à diriger de toute ma vie.

Vous parlez de Cyrano, mais on pense aussi aux Liaisons dangereuses, pièce que vous avez montée il y a neuf mois. Comme la marquise de Merteuil, Blanche DuBois est une séductrice manipulatrice...

Oui, mais la différence est que Blanche DuBois est malade. Elle a une vraie pathologie. C'est une nymphomane. Elle essaie de séduire sexuellement le mari de sa soeur, le meilleur ami de son mari (Mitch) et même un jeune camelot, mais elle n'est pas méchante; elle a seulement un vrai besoin sexuel.

Pourquoi vous intéressez-vous à ce point au désir, qui recoupe ces deux pièces-là?

Il y a une raison. Je vieillis, je vois les gens autour de moi et je trouve que tout le monde est l'esclave de ses désirs inassouvis. Je parle à des copains, des amis, et je trouve qu'ils ont une sexualité un peu triste. Parce que personne n'ose aller au bout de ses fantasmes ou de ses envies, parfois pour des raisons de pudeur ou de rectitude politique, parce que les hommes sont devenus roses... Aujourd'hui, on ne peut pas être Stanley Kowalski, même si on l'est tous un peu encore. Mais on n'a pas le droit. Je pense aussi qu'une femme très sexuelle, c'est encore un tabou. On va la traiter de salope. Blanche DuBois ne s'accorde pas le droit de vieillir non plus; c'est très 2015, ça...

Les personnages de Stella et Stanley ont une vie sexuelle qui est loin d'être triste. C'est l'arrivée de Blanche DuBois qui bouleverse tout...

Oui. Dès qu'elle arrive, ils ne peuvent plus baiser, tandis que Blanche arrive remplie de désirs. L'époque fait en sorte qu'on la perçoit comme une folle, parce qu'on ne pouvait pas en faire une femme sexuellement active dans les années 40... Ce n'était pas présentable sur scène.

Il y avait une pudeur qui n'existe plus aujourd'hui...

Exactement. Dans l'appartement de Stella et Stanley, il y a des murs et des portes. Moi, je les ai enlevés. Vous verrez ce qu'on ne pouvait pas montrer. Par exemple, Blanche DuBois passe des heures dans son bain. On n'a jamais vu ce qu'elle faisait dans cette baignoire-là... Mais 1 plus 1 font 2. Elle est en manque sexuel et elle passe des heures dans sa baignoire: on connaît tous des ados qui font la même chose! Et c'est ce que Tennessee Williams a écrit, mais il ne pouvait pas le montrer. Pareil pour la scène de baise entre Stella et Stanley après leur dispute, ou la fameuse scène de viol. Nous allons jouer ces scènes-là.

On dit que la soeur du dramaturge, Rose, qui avait un très grand appétit sexuel, lui a inspiré le personnage de Blanche DuBois...

C'est vrai. Cela dit, Blanche DuBois, c'est Tennessee Williams. Écoutez: elle boit, il boit. Elle prend des cachets, il en prend. Elle a des problèmes de santé mentale, lui aussi. Elle a été internée, il a été interné. Elle a un appétit sexuel insatiable comme lui. Même snobisme affiché aussi. Au fond, il a le même trajet que Blanche...

Ce rapprochement entre Blanche et Tennessee Williams est-il évoqué dans la pièce?

Oui, Williams sera carrément représenté sur scène. Il lit ses didascalies (indications de lieux, de temps, détails sur les personnages), qui sont drôles à mourir. Il parle parfois directement au public. Donc, on établit très bien le parallèle entre Blanche et lui. Il est Blanche et, comme auteur, il a écrit son fantasme, qui est Stanley Kowalski. Il couchait avec des marins dans les ruelles; il avait du rough sex. L'homoérotisme de la pièce est là: son fantasme d'un homme un peu rustre qui sue.

Dans un très beau passage, Blanche DuBois dit: «Je veux de la magie. C'est ce que j'essaie de donner aux gens. Je ne dis pas la vérité, je dis ce que la vérité devrait être.» C'est ce passage qui vous a donné envie de parler du désir d'être sur scène?

Oui! C'est une description des gens de théâtre. Ça se traduit dans la façon dont j'ai dirigé les acteurs: on a beaucoup parlé de la séduction des acteurs face au metteur en scène, du fait qu'ils veulent être aimés de lui. J'ai travaillé Blanche DuBois comme une actrice. Elle est dans un personnage et elle essaie de séduire tous ceux qui l'entourent.

«I Want Magic...» C'est une phrase très célèbre parce qu'elle décrit bien le faux rapport qu'on a, nous les gens de théâtre, avec la vérité. Cela dit, Blanche finit par choisir l'absence de désir. Parce qu'elle n'en peut plus.

C'est une pièce interdite aux moins de 16 ans, on ne voit pas ça souvent...

Oui, c'est vrai. Je ne crois pas que ce soit pour des raisons sexuelles ou de nudité, mais pour des raisons de violence sexuelle. Stanley Kowalski bat sa femme, qui est enceinte, et couche avec elle après. Ils font beaucoup de make-up sex; c'est un couple qui se lance des assiettes et qui baise après. Il y a aussi la scène de viol. Cette violence qui tourne autour du désir donne une image très désespérante de la sexualité et pourrait ne pas convenir à tout le monde.

À l'Espace GO, du 20 janvier au 14 février.