Denise Filiatrault, directrice artistique du Théâtre du Rideau Vert, est «scandalisée, outrée et humiliée» que des membres de l'industrie culturelle dénoncent l'utilisation, dans la pièce 2014 revue et corrigée, d'un acteur blanc maquillé en Noir (blackface) pour jouer le hockeyeur P.K. Subban.

La Presse a obtenu hier une lettre ouverte intitulée «Blackface: il est temps d'en finir», signée par l'organisme Diversité artistique Montréal (DAM) et plusieurs artistes francophones, anglophones et membres de la communauté noire ainsi que par des théâtres anglophones de Montréal. Les signataires demandent une nouvelle fois à la direction du Rideau Vert «de poser un geste d'ouverture, de tendre une main».

«Il ne s'agit pas de traiter quiconque de raciste, mais bien plutôt de dénoncer le recours à une pratique dont la connotation est raciste, indépendamment de la volonté de l'auteur», dit la lettre.

Piquée au vif, Mme Filiatrault a accepté pour la première fois de s'exprimer sur cette controverse, qui a débuté en décembre dernier alors que la pièce était toujours à l'affiche.

«Écoutez, ce n'était pas un blackface, a-t-elle déclaré à La Presse. Je n'aurais jamais cru que tout ça arriverait. Tout le monde me connaît. J'ai 83 ans, j'ai 60 ans de carrière. J'ai été la première à engager un Noir à la télévision [Normand Brathwaite]. Dès que j'en ai la chance, je les engage, parce qu'ils sont bourrés de talent.»

«De me faire dire "vous faites des blackface", je suis scandalisée, outrée et humiliée. En tant que directrice du Rideau Vert, je n'ai jamais fait ça, je ne ferai jamais ça de ma vie.»

Questionnée à savoir si ce débat allait changer la façon de procéder pour les prochaines revues de l'année, Mme Filiatrault s'est montrée catégorique: «On n'en mettra plus, de Noirs. D'abord, je vais vous dire une chose: je fais un rôle qui dure 12 secondes. Pensez-vous que j'aurais engagé un Noir pour 12 secondes ? On n'a pas les moyens, on n'a pas de subventions; elles sont minimes. Et on ne peut quand même pas lui faire jouer le rôle du maire de Montréal, comme disait mon metteur en scène !»

«Je ne savais pas que les gens étaient malades et mesquins à ce point-là. Je suis à bout. C'est épouvantable. On dit "oui, mais P.K. est noir", mais je ne vais pas le mettre en jaune ou en vert ! Il n'y en aura plus de personnages noirs, c'est terminé. Les gens n'ont plus le même humour, ou c'est moi qui suis trop vieille.»

«Just stop»

Parmi les signataires de la lettre ouverte se trouvent deux grands théâtres anglophones de Montréal, le Centaur et le Centre Segal des arts de la scène. La directrice artistique de ce dernier, Lisa Rubin, avait cette recommandation à faire, hier: «Just stop.»

«L'utilisation d'un blackface est offensante pour la communauté noire. Ce n'est pas une question de liberté artistique ou quoi que ce soit. C'est une pratique blessante, comme l'utilisation du mot "nègre". Il ne faut plus faire ça.»

Elle est convaincue que le Rideau Vert ne voulait pas «blesser des gens». « Nous aimons ce théâtre, nous adorons ses spectacles. Mais un blackface, ça heurte», a-t-elle ajouté.

Selon Deborah Forde, directrice générale de la Quebec Drama Federation (QDF), les Québécois francophones ne savent pas qu'il y a eu de l'esclavage dans leur province, «une ignorance importante» qui n'aide pas à changer les mentalités.

«On nous l'enseigne dans les écoles anglophones, mais je ne crois pas que ce soit le cas dans les écoles francophones. Il y a eu des esclaves, ici, à Montréal. Dans la communauté anglophone, au Canada et aux États-Unis, si on met en scène un blackface, notre carrière est tout simplement terminée. Over !», s'est-elle exclamée.

«Je ne crois pas que le Rideau Vert ait voulu heurter les gens, mais il l'a fait», a pour sa part indiqué Quincy Armorer, directeur artistique du Black Theatre Workshop.

«Il faut reconnaître que ce genre de geste nous blesse, me blesse aussi, moi, personnellement. Nous devrions avoir une discussion collective sur ce sujet, à Montréal.»