Pour soutenir le théâtre, achetez de la pornographie. La formule, surprenante, est en fait simple: les billets pour le spectacle d'une petite compagnie de Madrid sont glissés dans des magazines porno afin de bénéficier d'un taux de TVA réduit face aux 21% frappant la Culture.

C'est en se désespérant face à «l'absurdité» de voir le secteur du théâtre soumis au taux maximum de TVA existant en Espagne que Karina Garantiva, directrice et productrice de la petite compagnie Primas de Riesgo (Primes de risque), composée exclusivement de femmes, a eu cette idée il y a quelques mois.

Engagé dans un plan d'austérité drastique pour assainir ses finances, le gouvernement conservateur espagnol a décidé en septembre 2012 d'augmenter la TVA de 8% à 21% sur les spectacles de théâtre, musique et sur le cinéma. Les magazines, quel que soit leur contenu, sont eux soumis au taux de 4%, le minimum.

Tombées sur un lot de quelque 300 magazines érotiques des années 1980 et 1990 qu'un collectionneur particulier leur a vendu à bon prix, les comédiennes de Primas de Riesgo ont décidé de changer les statuts de compagnie de théâtre, pour devenir officiellement une société distribuant des magazines porno.

Masquant en partie les Unes coquines des magazines, elles ont glissé les billets d'une unique représentation du Magicien prodigieux (El Magico Prodigioso) du grand auteur classique espagnol Pedro Calderon de la Barca (1600-1681), le 25 novembre.

Prix du lot pour les spectateurs: 16 euros (22,50 $). Et pour les comédiennes, une campagne choc qu'elles ont baptisée «Magazines porno 4% - Calderon 21%».

«Nous voulons que les gens s'interrogent. Quelle société prend ce genre de décision? Qu'ils comparent et tirent leurs conclusions», explique Karina Garantiva, une Colombienne de 34 ans installée en Espagne depuis plus d'une décennie.

«Nous ne voulons pas de subventions, notre initiative est privée. La meilleure subvention serait que les mesures fiscales ne m'empêchent pas de faire mon travail», précise-t-elle.

Une TVA «immorale»

Le secteur de la culture a contribué à hauteur de 2,5% du Produit intérieur brut (PIB) au PIB de l'Espagne en 2012, selon les derniers chiffres du ministère de l'Éducation et de la Culture.

Le spectacle vivant a subi de plein fouet l'impact de la hausse de la TVA jusqu'à 21%, selon une étude de la Fédération nationale des associations d'entreprises de théâtre et de danse (Faeteda) portant sur la première année de son introduction: les revenus bruts ont plongé de 26% et le bénéfice net des entreprises culturelles de 34%.

Urgence

Les files de spectateurs se sont nettement clairsemées, leur nombre diminuant de 29% pour passer de 13,1 à 9,3 millions. Les professionnels ont accusé le coup, avec la disparition sur la période de 1.800 postes directs.

Une «situation d'urgence», selon les professionnels du secteur qui demandent au gouvernement de suivre l'exemple des pays du continent (5,5% en France, 6% aux Pays-Bas, 7% en Allemagne et 10% en Italie) en ramenant la TVA sur la culture à 10%.

«Grâce à cette seule mesure, une compagnie grande ou de taille moyenne pourrait monter trois ou quatre spectacles de plus par an», calcule Jesus Cimarro, producteur madrilène de théâtre et président de la Faeteda.

En dépit des demandes pressantes, manifestations comprises, du monde de la Culture, le gouvernement du conservateur Mariano Rajoy maintient pour l'instant le taux maximum. Tant qu'il sera appliqué, la compagnie Primas de Riesgo poursuivra sa transformation en distributeur de magazines porno pour pouvoir vendre ses billets.

«Si la TVA change, nous suspendrons la campagne. Sinon, nous irons jusqu'au bout», affirme Karina Garantiva, satisfaite de la réaction du public, qui avait acheté 180 entrées pour la représentation du 25 novembre.

«C'est une manière originale de lutter contre le massacre économique dont les artistes sont victimes et je les soutiens complètement», réagit Diana Irazabal, jeune spectatrice, en feuilletant, amusée, son magazine.

Les comédiennes de Primas de Riesgo admettent que leur idée a aussi suscité des critiques. «Ce qui est immoral ce n'est pas que des filles distribuent des magazines porno, mais que le gouvernement offre des facilités à ces publications plutôt qu'à son patrimoine culturel», rétorque sa directrice.