Il y a un peu de la classe de maître dans L'énigme Camus. Le metteur en scène Jean-Marie Papapietro a réuni cinq acteurs autour d'un projet de spectacle sur Albert Camus. Entre les visionnements de documents d'archives, les répétitions de scènes théâtrales et les discussions autour de citations puisées chez Camus, L'énigme Camus est du (bon) théâtre documentaire pour initiés. Ceux qui ne sont pas familiers avec la vie et l'oeuvre de l'écrivain risquent de trouver la pièce longue et didactique - quoique Camus mérite l'effort et le détour.

Jean-Marie Papapietro se penche sur la question de l'engagement de Camus pendant la guerre d'Algérie. Sa pièce convoque tour à tour Camus le journaliste, le philosophe, le dramaturge, le romancier. Le créateur explore les dernières années de Camus à travers son regard sur la guerre d'Algérie et le rôle de la France, à partir de 1954. Camus est mort dans un accident de voiture en 1960, deux ans avant l'indépendance de l'Algérie, emportant dans la mort son «énigme».

Acteur et témoin de cette époque trouble de l'après-guerre en Europe, Camus a tenu tête à l'Histoire. Contrairement à Sartre et aux intellectuels français des années 50, il s'oppose au FLN et à l'indépendance de son pays natal, parce qu'il a le dégoût de la violence et du terrorisme. Sa position lui causera bien ennuis, à Paris comme à Alger. «J'ai mal à l'Algérie, comme d'autres ont mal aux poumons», dira-t-il.

Pour l'auteur de L'étranger, le pire ennemi reste le dogmatisme; qu'il soit de gauche ou de droite. «Aucune cause ne mérite la mort d'innocents», croyait-il. «En ce moment, on lance des bombes dans les tramways d'Alger. Ma mère peut se trouver dans un de ces tramways. Si c'est cela la justice, je préfère ma mère», confie-t-il alors à un journaliste du Monde. Une phrase d'une criante actualité.

Albert Camus a toujours résisté à l'oppression du peuple, peu importe la cause. C'est un enfant populaire d'Alger, dont la mère était illettrée (cette dernière est représentée assise et tricotant en silence sur la scène, tout au long du spectacle). Si l'intelligentsia parisienne a bien accueilli Camus dans les années 40, c'était pour mieux rejeter ensuite ce «moraliste facile» qui s'opposait à la grande marche révolutionnaire...

L'Histoire a finalement donné raison au combat lucide de l'écrivain. Camus dans son discours du prix Nobel: «Chaque génération, sans doute, se croit vouée à refaire le monde. La mienne sait pourtant qu'elle ne le refera pas. Mais sa tâche est peut-être plus grande. Elle consiste à empêcher que le monde ne se défasse.»

Contrairement à bien des intellectuels austères, l'intelligence de Camus était directement branchée sur son coeur. Laissons-lui le mot de la fin:

«Il faut aimer la vie avant d'en aimer le sens, dit Dostoïevski. Oui, et quand l'amour de vivre disparaît, aucun sens ne nous en console.»

_________________________________________________________________________________

À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier. Jusqu'au 29 novembre.