Gabriel Arcand a atteint l'âge de la retraite en juin dernier. Pour fêter cela, le comédien relève un nouveau défi professionnel. Pour la première fois de sa carrière, il s'attaque à une pièce de Thomas Bernhard, Avant la retraite, qui prend l'affiche du Prospero mardi prochain, sous la direction de Catherine Vidal. Rencontre avec un acteur sans compromis.

Chaque automne, Gabriel Arcand aime bien rentrer à la maison. Sa maison a pour nom le Théâtre Prospero, qu'il a contribué à ériger il y a 30 ans afin de donner un toit à sa compagnie, le Groupe de la Veillée.

C'est là qu'Arcand s'engage dans des projets artistiques qu'il aime passionnément, mais qui lui font peur terriblement. Car depuis toujours, le solide acteur prêche pour un théâtre sans compromis. « Radical et lumineux. » « J'aime travailler sur des matériaux stimulants qui ne laissent pas beaucoup de portes de sortie ni à l'acteur ni au spectateur », résume-t-il à La Presse.

En effet, la Veillée produit des pièces d'un répertoire moins visité au Québec, signées par des auteurs qui ne font pas de concessions. Un théâtre en marge des autres compagnies du même âge au Québec. Ou, dans les mots d'Arcand, « des auteurs qui ont le courage d'aborder des thématiques et des sujets trop rarement portés sur nos scènes ».

On l'a vu jouer des premiers rôles dans des créations de Fiodor Dostoïevski, Czeslaw Milosz, Witold Gombrowicz, Antonin Artaud... dans la grande salle du Prospero qui compte à peine 180 places. Mais le lieu culturel a son public de fidèles et de curieux. « Ce n'est pas parce qu'il y a plus de chaises qu'il y a plus de qualité », disait déjà le cofondateur à l'ouverture du théâtre en 1985. Et il persiste et signe.

La mission de la Veillée

On a souvent affirmé qu'Arcand, ce disciple de Jerzy Grotowski qui a codirigé la Veillée avec le Polonais Téo Spychalski, ne jurait que par le répertoire européen. Au détriment des pièces québécoises. « La Veillée s'est positionnée en marge des autres compagnies. On ne veut pas faire ce que le Théâtre d'Aujourd'hui, Duceppe ou le TNM font très bien », répond-il.

On comprend que l'acteur de 65 ans se consacre surtout au théâtre et au cinéma. Il se fait rare à la télévision, qu'il qualifie d'« usine ». Il a joué dans une quarantaine de films... mais a tenu à peine une demi-douzaine de rôles au petit écran, y compris le psychiatre qu'il incarne dans Au secours de Béatrice, aux côtés de Sophie Lorain.

« La télévision et l'art, ce sont des pommes et des oranges, dit Arcand. Ils n'ont pas le même marché ni la même fonction. L'une cherche le consensus social afin de rendre le plus de gens heureux et satisfaits dans le confort de leur salon. Alors que le théâtre leur demande de se déplacer et leur pose des questions existentielles afin de brasser la cage, de les pousser à réfléchir. »

La cérémonie des nazis

C'est justement ce genre de réaction qu'Avant la retraite risque de susciter. La pièce a fait scandale lors de sa création à Vienne, en 1979. Thomas Bernhard (1931-1989) y dénonce avec un humour noir et féroce la complicité de l'Autriche avec le régime nazi, lors de la Seconde Guerre mondiale.

Il raconte le rituel de Rudolph Höller (Arcand), un juge à la retraite et haut fonctionnaire du ministère de la Justice qui organise un souper pour célébrer l'anniversaire de l'ex-organisateur des camps d'extermination nazis, Heinrich Himmler! Chaque année, le 7 octobre, le juge sort ses vieux habits SS et dépoussière de vieux portraits de son idole de jeunesse. Il invite ses deux soeurs (jouées par Marie-France Lambert et Violette Chauveau) à son repas clandestin.

Dans Avant la retraite, Bernhard a peint un portrait sombre et sans pitié des dérives du nationalisme allemand. Et aussi une dénonciation en règle du conformisme du peuple autrichien. « Il y a aujourd'hui plus de nazis à Vienne qu'en 1938 », aimait répéter l'auteur à l'époque où Kurt Waldheim était président de l'Autriche...

« Mon personnage n'est pas un monstre pour autant, avance Arcand. C'est un haut fonctionnaire nationaliste, médiocre, retors, lâche, sans envergure. Mais aussi ambitieux, rusé, déterminé. »

Mais où est donc la radicale lumière dans cette cérémonie néonazie sous-titrée « Comédie de l'âme allemande »? « La lumière, elle est dans la parole de l'auteur, dit l'acteur. Dans les mots de Bernhard, dans la qualité et la puissance d'évocation de son oeuvre. Thomas Bernhard prend la pourriture humaine du nazisme et la transforme afin de faire jaillir une lumière. Mon premier devoir, comme interprète, c'est de faire entendre cette parole-là. »

Au Théâtre Prospero, du 18 novembre au 16 décembre.

Prospero, tremplin pour la jeune création

Avec Christel Marchand, Alix Dufresne et Menka Nagrani, Catherine Vidal fait partie de ces quatre femmes de moins de 40 ans auxquelles la direction du Prospero a confié les rênes d'une production cette saison. Depuis sa reconstruction en 1995, le Prospero a permis à de nombreux jeunes créateurs non subventionnés de proposer des approches esthétiques différentes et de créer malgré le manque d'argent.

Or, cette année, le Prospero engage plus de metteures en scène que n'importe quelle autre compagnie montréalaise. « La Salle intime du Prospero, par exemple, est un véritable vivarium, explique Catherine Vidal. On y accueille des expériences artistiques en marge et on y soutient l'expérimentation de créateurs fraîchement diplômés, sans argent ni moyens. » C'est d'ailleurs dans la Salle intime que Vidal a signé, en janvier 2008, la mise en scène du Grand cahier, la pièce qui l'a révélée au public et à la critique. Selon elle, l'attrait de certains textes, le désir de faire partager des paroles nouvelles et d'encourager les jeunes compagnies expliquent le fait que le Prospero soit devenu un tremplin pour la jeune création et l'expérimentation théâtrale à Montréal.