Pour les deux ou trois membres de la communauté moyen-orientale de Montréal qui ne sont pas encore au courant, c'est ce soir que la comédienne d'origine égyptienne, Talia Hallmona, défendra son autofiction Moi et l'autre. Une pièce qui se terminera par un méchoui d'agneau.

La démarche de Talia Hallmona rappelle celle du Torontois d'origine indienne Ravi Jain, qui avait fait dans sa pièce Asha le récit de son mariage organisé par ses parents. Sa mère partageait d'ailleurs la scène avec lui pour donner son point de vue. Le spectacle s'était terminé par un repas indien avec les spectateurs.

Plus récemment, le comédien d'origine iranienne Mani Soleymanlou a fait équipe avec son ami Emmanuel Schwartz pour faire le récit de ses migrations et de sa quête identitaire dans la trilogie Un, Deux, Trois. Mais sans les plats iraniens.

Le hasard a fait que Talia Hallmona était dans la même classe que Mani Soleymanlou à l'École nationale de théâtre. Notamment en compagnie de Sounia Balha, d'origine marocaine. Les deux jeunes femmes comptaient d'ailleurs parmi les 43 interprètes de la pièce Trois, qui a conclu le cycle de Soleymanlou.

Elle-même est née à Alexandrie, en Égypte. Après avoir joué dans quelques productions, dont la pièce S'embrasent, mise en scène par Éric Jean, Talia Hallmona a eu envie de faire le récit de son arrivée au Québec - à l'âge de 8 ans - et de son parcours de comédienne. 

Comme Mani Soleymanlou, la jeune femme dit avoir éprouvé le vide de n'être ni tout à fait égyptienne ni tout à fait québécoise. 

Pour écrire le monologue à deux voix de Moi et l'autre, elle s'est tournée vers le dramaturge Pascal Brullemans (Beauté, chaleur et mort, Vipérine) et le metteur en scène Michel-Maxime Legault (Le chemin des passes dangereuses). Pour que «l'autre» soit présent.

«Je ne voulais pas raconter seule cette histoire, nous dit Talia Hallmona. Ce qui est formidable dans Moi et l'autre, c'est qu'on parle d'ici, de l'intégration au Québec. En étant deux, on avait l'ailleurs et l'ici. C'était une façon pour moi de ne pas tomber dans la nostalgie. On ne parle pas tant d'où je viens, que d'où je vais.»

Tout commence à Laval

Le personnage de Talia, qui fréquente une école secondaire à Laval, se demande d'abord comment devenir québécoise. Sa meilleure amie, Julie Sirois (Marie-Ève Trudel), jouera un rôle essentiel dans son intégration, au point où elle voudra carrément «"être" Julie Sirois». 

Mais son amie Julie mourra dans un accident de voiture. Talia refusera cette réalité-là. Pour poursuivre son récit, elle offrira sa vie (et son rôle) à Julie... C'est donc Julie Sirois qui portera le chapeau de l'immigrante. Tandis que Talia incarnera divers personnages, dont sa mère et sa soeur.

«Même en tant que Québécoise Talia se rend compte qu'elle ne peut pas concilier tout ce qu'elle est, détaille Pascal Brullemans. 

«Ce qu'on découvre en fait c'est que d'avoir un problème identitaire, c'est peut-être la façon la plus québécoise de vivre! On ne donne pas de réponse, mais on a quelque chose à construire à partir de ça...», poursuit le coauteur.

Ça fait deux ans que Talia Hallmona et Pascal Brullemans échangent sur le sujet. «En fin de compte, les écoles primaires aujourd'hui sont remplies d'immigrants et d'enfants d'immigrants, la réalité change, estime Pascal Brullemans. Le rapport aux autres n'est plus le même, mais tout le monde doit quand même trouver sa place.»

À la fin de sa pièce, Talia veut reprendre son rôle et son texte, mais Julie ne veut pas... «Le texte est vraiment le troisième personnage, dit-elle. Julie lui dit: "Être québécoise, ça se passe dans le coeur, donc t'as pas besoin du texte et t'as pas besoin de moi, et elle déchire le texte..."»

La pièce se termine par un mariage. C'est à ce moment-là que le méchoui sera servi aux invités (quatre soirs seulement). «C'est pour pousser la forme de l'autofiction, précise Talia Hallmona. Quand vous allez arriver, vous verrez mon père en train de préparer le repas. Pour que moi et l'autre on soit réunis.»

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Aux Écuries du 28 octobre au 8 novembre.