Voici l'une des plus belles surprises de cette rentrée automnale. Ironiquement, nous ne sommes pas dans un lieu théâtral, mais dans l'ancien Ciné-Théâtre Le Château de la rue Saint-Denis, occupé depuis plusieurs années par le Centre chrétien métropolitain.

La pièce de l'Espagnol Juan Mayorga est construite autour d'un fait réel: la visite d'un émissaire de la Croix-Rouge, en 1944, dans le camp de concentration allemand de Theresienstadt afin de vérifier si les rumeurs d'extermination de masse étaient fondées.

Grâce à une spectaculaire mise en scène, les nazis sont parvenus à berner le délégué de la Croix-Rouge, qui a finalement signé un rapport favorable, photos à l'appui, des conditions de détention des Juifs. Cette mascarade a bien sûr réussi grâce à la participation des Juifs, qui croyaient ainsi sauver leur peau...

À partir de cette triste histoire, la metteure en scène Geneviève Blais a conçu un spectacle déambulatoire bouleversant où nous sommes conviés, à la manière du délégué de la Croix-Rouge, à une visite des lieux. Comme lui, durant la première partie du spectacle, nous sommes floués par tout ce qu'on ne voit pas.

Au cours de cette «promenade» de deux heures et demie, qui nous mène dans tous les recoins du vieux Ciné-Théâtre défraîchi - incluant le sous-sol, glauque à souhait - nous croisons hommes, femmes et enfants en train de «jouer» leur partition. Oui, oui, des enfants, car une douzaine d'entre eux participent à cette étonnante création.

Deux d'entre eux chantent des airs d'opérette, une petite fille parle à son ourson, un couple parle de ses projets d'avenir, deux petits garçons se disputent une toupie... Un autre me tend même un dessin.

La vie quoi, mais pas la vraie. Celle qui a été scénarisée par le commandant du camp (Alain Fournier) et qu'a mise en scène, contre son gré, un des prisonniers juifs du nom de Godfried (excellent Étienne Pilon). Un procédé qui rappelle le scénario de La vie est belle, mais où l'imagination est au service de la propagande nazie.

Au fil de la représentation, on revoit les mêmes scènes que les jeunes répètent inlassablement, à la manière d'automates. Le jeu macabre des enfants est de plus en plus troublant; leur peur, de plus en plus perceptible. Le spectateur, lui, est un témoin impuissant.

On comprend vite les tourments du délégué de la Croix-Rouge qui, bien des années plus tard, repasse le film de sa visite à la recherche des indices qu'il a ignorés... En particulier cet «himmelweg» ou «chemin du ciel», long chemin qui reliait la gare à... l'infirmerie.

Des sauts dans le temps nous permettent de revoir les scènes ayant précédé la visite du délégué, comme celles d'après son départ.

Oui, il y a quelques longueurs, d'autant plus que l'opération de dissimulation nous est révélée dès le début du parcours. N'empêche, la recréation de ce ghetto a quelque chose d'extrêmement émouvant. On en ressort avec le sentiment d'avoir partagé, pour une petite seconde, l'horreur de ces familles sacrifiées.

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Au Ciné-Théâtre Le Château jusqu'au 3 octobre.