Dès mardi au TNM, le classique de René-Daniel Dubois aura droit à sa cinquième production québécoise en 30 ans sous la direction de Frédéric Blanchette. Rencontre avec Benoit McGinnis et Marc Béland, acteurs principaux de ce huis clos policier dans lequel deux hommes aux antipodes finissent par apprivoiser l'inconnu.

L'un des morceaux les plus éclatants de la dramaturgie québécoise, Being at Home with Claude est né à une époque où notre théâtre se renouvelait avec fougue et talent. Tant dans le fond que dans la forme.

Au lendemain du (premier) référendum, le «je» marginal succède au «nous» national. De nouvelles voix (Chaurette, Bouchard, Lepage) s'ajoutent aux anciennes (Tremblay, Gauvreau, Dubé). En voyage à New York, à l'automne 1984, René-Daniel Dubois - l'un des porte-étendard de la nouvelle dramaturgie québécoise - a l'idée d'une pièce policière avec une intrigue homosexuelle, sur fond de violence et passion. «La pièce est sortie à toute vitesse. Je l'ai écrite en cinq soirs», confie l'auteur dans le programme du Théâtre du Nouveau Monde.

Being at Home with Claude sera créé l'année suivante au Quat'Sous dans une mise en scène de Daniel Roussel. Beau succès critique et public qui fera bien des petits...

À l'initiative de Marc Béland qui a dirigé le comédien dans Hamlet au TNM, Benoit McGinnis reprend le rôle d'Yves (que Béland a défendu au Rideau Vert, en 1988). Ce prostitué homosexuel en déroute «qui fait le carré Dominion» et qui vient de tuer son amant... d'un coup de couteau à la gorge, après une relation sexuelle torride.

Aux yeux de McGinnis, Yves a toujours manqué d'amour. «Lors de son interrogatoire par l'inspecteur [interprété par Marc Béland], Yves dit à propos de Claude: «Personne ne m'a jamais touché ni parlé comme ça. En le tuant, je me tuais moi aussi!» », explique le comédien.

Dubois s'est toujours défendu d'avoir écrit une pièce gaie. «Je voulais écrire une pièce sur la passion, pas sur l'homosexualité, dit-il. Mais si le couple formé par Yves et Claude avait été un couple homme-femme, le sujet de la pièce serait tout de suite devenu la violence conjugale.»

Entrer sur les chapeaux de roue

L'action se déroule en 1967, le jour de la fête du Canada, alors que les feux d'artifice illuminent le ciel du centre-ville. Yves n'a pas dormi depuis trois jours. Il s'est réfugié dans le bureau d'un client qui est... un juge de la Cour supérieure. La pièce commence à la 36e heure de l'interrogatoire! «On démarre en force, lance McGinnis. Marc et moi devons nous réchauffer dans les loges avant d'entrer en scène.»

La première partie se concentre sur l'interrogatoire avec l'inspecteur. Ce dernier pose et repose ses questions. Il tente de comprendre les raisons du meurtre: vol, drogue, chantage? Car Claude, étudiant à l'Université de Montréal, a aussi une blonde et vit son homosexualité en secret.

«Mon personnage est dépassé par la situation. C'est le choc entre deux visions du monde: l'une logique, représentant le pouvoir et l'autorité; l'autre émotive, plus du domaine de la passion, de la quête d'absolu», raconte Marc Béland.

La deuxième partie est constituée du long monologue (de 25 pages) dit par Yves, en guise de défense ou d'explication de son geste. «Il y a un énorme défi à jouer ça, dit McGinnis. D'abord, celui de mémoriser le texte, mais aussi pour l'état physique, l'abandon sans perte de contrôle.

«J'ai eu peur quand Marc m'a proposé le projet, poursuit-il. Mais j'ai décidé de plonger et de faire comme si je jouais dans une création, sans penser aux prestations de Roy Dupuis ou de Lothaire Bluteau. J'ai d'abord regardé le documentaire de Rodrigue Jean, Hommes à louer, qui dépeint l'univers des prostitués mâles, quoique leur réalité soit différente du vécu d'Yves.»

Pour Marc Béland, le problème est inverse. Lui qui a l'habitude des personnages sombres, tourmentés, écorchés vifs, doit ici se mettre dans la peau d'un père de famille rangé, d'un policier rationnel et autoritaire. «J'adore jouer ça, dit-il. Après 30 ans de métier, le doute est encore là, certes, mais je peux compter sur mon expérience. Et avoir du plaisir en travaillant. Car aujourd'hui, je sais que l'acteur ne me laissera jamais tomber le gars.»

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Au Théâtre du Nouveau Monde, du 16 septembre au 11 octobre