La pièce Mies Julie, de Yaël Farber, présentée en ce moment à Montréal, est un spectacle magistral à tous points de vue, de la mise en scène à la musique en passant par le jeu de comédiens «possédés» par un sujet explosif. À voir absolument.

Au départ, le génie de l'auteure et metteure en scène a été de s'inspirer de la plus que centenaire pièce du Suédois August Strindberg Mademoiselle Julie, pour accoucher d'une nouvelle oeuvre qui parle au public d'aujourd'hui de réalités sociopolitiques autrement plus complexes.

Un véritable coup de poing



Amour et politique ont toujours fait bon ménage, contrairement à ce qu'on pense. Que l'un en souffre plus que l'autre, par contre, relève de dommages collatéraux, nous dit en quelque sorte cette histoire moderne, transposée en Afrique du Sud.

Mais cette pièce, véritable coup de poing pour le public, n'a rien de cynique. Elle expose un constat: tout est politique, tout est question de pouvoir. L'amour n'y peut rien; l'humain est ainsi fait.

Les thèmes de la domination et de la manipulation au sein du couple, bien présents chez Strindberg, servent surtout à illustrer la dure réalité d'un pays qui, 20 ans après la fin de l'apartheid, souffre toujours d'inégalités et d'injustice.

Julie (Hilda Cronje) est la «belle et cruelle» fille d'un riche propriétaire terrien; John (Bongile Mantsai), un serviteur lucide; et Christine (Zoleka Helesi), la mère de ce dernier. Oracle et gardienne des traditions, cette femme a, dans les faits, élevé ces deux enfants rêveurs qui deviendront amants rageurs.

Amour-haine



On assiste à un ballet amour-haine constant entre Julie et John qui ne peuvent échapper à une époque trouble, incertaine. Tous les coups sont permis et le sexe, violent. «J'aurais pu t'aimer», annonce Julie. «L'amour est impossible dans ce bourbier», répond John.

Parce qu'évidemment, il y est question de superstitions, de traditions et de terres volées. Un paysage trop aride pour les âmes sensibles. Un pays qui ne revient, à la fin, qu'aux plus forts.

Les comédiens brillent par un jeu physique et survolté, la mise en scène aussi. Faisant grand usage de musique, Yaël Farber crée un climat de tension sexuelle, une danse de l'amour parfois langoureuse, parfois virevoltante.

Les métaphores sont omniprésentes, mais bien dosées. L'agitation de l'oiseau en cage annonce la tempête et le vin deviendra du sang. Peut-il en être autrement dans un duel où rien ni personne ne peut sortir gagnant? Surtout pas l'amour.

Bémol: on espère que les embêtants problèmes de grésillement de la bande sonore seront rapidement réglés. Le rythme du spectacle en a souffert, jeudi soir dernier.

À la Cinquième Salle de la Place des Arts jusqu'au 3 mai.