Après avoir revisité la tragédie d'Oreste avec Molora, présenté à Montréal en 2009, la metteure en scène Yaël Farber adapte Mademoiselle Julie d'August Strindberg, qu'elle transpose à nouveau dans l'Afrique du Sud post-apartheid. Pour en faire un huis clos charnel et sulfureux. Chaud devant!

À l'annonce de la mort de Nelson Mandela, le 5 décembre dernier, la metteure en scène Yaël Farber a accroché un drapeau sud-africain à la fenêtre de son appartement de l'avenue de Gaspé, dans le Mile End. Déménagée à Montréal en 2006 - par amour pour un directeur artistique du Cirque du Soleil -, Farber a longtemps travaillé au Cap.

«J'ai invité chez moi des compatriotes sud-africains, explique Farber, rencontrée dans un café à deux pas de chez elle. Pour nous, Mandela était une figure paternelle. Tant qu'un père est en vie, on peut se déresponsabiliser. Mais une fois que notre père est mort, on est l'unique responsable de ses actes», affirme la dramaturge et metteure en scène, qui présente à Montréal Mies Julie, adaptation (encensée par la critique de trois continents!) de Mademoiselle Julie d'August Strindberg.

Une charge sexuelle

Les actes, comme les symboles, sont importants dans son parcours artistique. À ses yeux, le théâtre est d'abord politique. Il doit éveiller le public aux violations des droits de la personne dans le monde.

À la première lecture, Yaël Farber n'a pas accroché à Mademoiselle Julie. Elle ne ressentait pas de «décharge électrique» dans le texte! Si la pièce a vieilli, croit-elle, sa ligne dramatique reste toujours aussi pertinente et puissante: un homme et une femme que tout sépare sont fortement attirés l'un par l'autre. Ils vont avoir une relation sexuelle torride qui fera tomber les frontières que la société a érigées autour eux. «Dans Mies Julie, le sexe est l'élément narratif, un catalyseur qui efface le vernis de la civilité», note-t-elle.

La metteure en scène transporte donc l'action dans l'Afrique du Sud de 2012, 11 ans après l'abolition de l'apartheid. La question de la réconciliation et de la restitution des terres aux Noirs reste d'actualité. La scène se déroule dans une ferme, le soir du «Freedom Day», jour férié commémorant la tenue des premières élections nationales multiraciales. Farber a conservé l'unité de temps (une nuit) et de lieu (une cuisine) proposé par Strindberg.

Julie (Hilda Cronje) est la fille, blanche, du propriétaire de la ferme; John est un laboureur noir, incarné par Bongile Mantsai. Ce dernier fait penser au Stanley Kowalski de Marlon Brando, camisole comprise. Christine (Thoko Ntshinga) est devenue, dans cette version, la mère de John, qui a aussi élevé Julie. Il fait très chaud et la température monte... en même temps que la tension sexuelle qui est sulfureuse.

Pour Farber, le (bon) théâtre agit comme un électrochoc pour faire bouger les choses (elle recourt à la métaphore des aiguilles utilisées pour un traitement d'acupuncture qui ciblent des points du corps). «Très jeune, j'ai compris qu'il faut faire des choix, dit-elle. Décider de ne pas en faire représente aussi un choix. Car l'apathie contribue à maintenir l'injustice.»

Après la liberté

«C'est un miracle que l'Afrique du Sud ait fait la transition de l'apartheid sans guerre civile, croit Farber. Mais il reste encore des problèmes, des chocs post-traumatiques, des injustices entre Noirs et Blancs. La restitution des terres en fait partie. On peut donner la liberté à des gens, mais s'ils n'ont pas les moyens de vivre, cela reste un mot.»

La passion charnelle, sauvage et brutale entre Julie et John expose le postulat qu'on ne peut jamais remplacer ce qui a été perdu. «Ils ont beau être égaux devant la loi, ce couple interracial reste stigmatisé par l'histoire. De leur duel, personne ne sortira indemne.»

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À la Cinquième Salle de la Place des Arts, du 24 avril au 3 mai. (Spectacle présenté en anglais avec surtitres français.)