On raconte difficilement le deuil, tout comme la mort. C'est probablement pourquoi, au début de Scratch, six personnages s'isolent à l'avant-scène pour dire, l'un après l'autre, que «si c'était leur histoire», la pièce aurait pu parler... d'autres choses! Or, il s'agit de l'histoire d'Anna, une adolescente de 15 ans, alter ego de l'auteure Charlotte Corbeil-Coleman. Et son histoire mérite le détour par La Licorne, ces prochaines semaines.

«Ma mère est en train de mourir... Pis j'ai des poux... Fuck

Voilà la première réplique d'Anna. La mort et les poux. Deux choses pas nécessairement compatibles... mais autobiographiques. Car l'auteure s'est battue avec des poux durant son adolescence, et sa mère (l'écrivaine Carole Corbeil) est décédée du cancer en 2000.

Dans sa première pièce, Corbeil-Coleman raconte la difficulté d'accepter la perte d'un proche, mais aussi le dur apprentissage de la vie. Comment peut-on sublimer par les mots, l'imagination et une bonne dose d'humour noir, nos peurs, nos phobies, nos carences? Scratch évoque ces (petites) choses qui nous grattent l'âme, comme des poux sur un cuir chevelu. En matière d'émotions, l'humain est mal fait, réalise Anna. Tellement que son front exprime plus facilement la vérité que son coeur... Devant les réactions des gens face à la maladie de sa mère, Anna dira que «le front est un GPS à émotions»!

Une parole nouvelle et universelle

C'est l'auteur et acteur Sébastien David qui a mis en scène et traduit Scratch (qu'il produit avec sa compagnie, La Bataille). David a connu l'auteure torontoise en 2006, alors qu'elle étudiait à l'École nationale de théâtre, au département d'écriture dramatique de la section anglaise.

Avec cette production, le metteur en scène fait plus que réunir nos deux solitudes: il nous permet de découvrir une parole touchante, amusante et universelle. Rarement voit-on autant d'humanité, de théâtralité et de maîtrise dans une oeuvre de jeunesse; l'auteure a amorcé l'écriture de Scratch à 16 ans, puis l'a remaniée avant sa création, en octobre 2008, au Factory Theatre, à Toronto.

La mise en scène encadre bien la distribution tout en faisant résonner la beauté du texte. Autour d'Anna (Émilie Cormier, qui exprime bien le déni puis le désarroi du personnage) gravitent des personnages torturés et riches. Des hommes et des femmes qui tentent de la consoler. D'abord, ses parents, deux artistes marginaux (Monique Spaziani et Henri Chassé, sobres et justes dans un registre émotif); puis, une tante qui cherche partout du réconfort (la toujours excellente Micheline Bernard); un drôle de poète qu'Anna essaie gauchement de séduire (Robin-Joël Cool, très bon); et finalement, une amie qui gère mal ses émotions (Marie-Ève Milot, lumineuse et extraordinairement talentueuse!).

Le passage de Scratch au Québec se fait sans heurts sur la scène de la Petite Licorne. Voilà une pièce qui a de la profondeur, du style et du coeur. L'oeuvre d'une jeune auteure capable d'exposer un sujet sensible et personnel, sans gratter inutilement le bobo. Chapeau!

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À la Petite Licorne, jusqu'au 2 mai.