«Que voyez-vous?» C'est la première réplique de Rouge, la pièce de John Logan sur le célèbre peintre expressionniste abstrait Mark Rothko. Cette question semble anodine. Et pourtant, elle est à la base de la création.

En art contemporain, le «regardeur» est roi. Il décide, en quelques secondes, du sort d'une toile: si elle est belle, intéressante, émouvante, porteuse de sens, etc. D'où l'angoisse et le tourment de Rothko qui estime qu'il y a «du tragique dans chaque coup de pinceau». Et qui parle de ces toiles comme des êtres humains vulnérables...

Magnifique mise en scène

Réflexion sur l'art, la vie, la mort et la transmission de la culture, Rouge, créée à Londres en 2009, est actuellement à l'affiche du Rideau Vert, dans une magnifique mise en scène de Serge Denoncourt. Pas besoin de connaître ce dernier pour deviner qu'il s'identifie aux ambitions autant qu'aux souffrances du peintre new-yorkais. Sa production est à voir absolument.

Rouge se déroule dans l'atelier de Rothko en 1959. Ce vieux lion solitaire, colérique et égocentrique est alors au sommet de son art. Il vient d'avoir son expo au MOMA. Il a décroché un contrat lucratif pour faire trois séries de tableaux, qui seront accrochés au mur du restaurant du Seagram Building, à Manhattan.

Sa première réplique est destinée au jeune apprenti qu'il vient d'engager pour l'aider. Le maître et l'élève vont travailler ensemble durant deux ans et tisser une drôle de relation. Rothko - pour utiliser un euphémisme - n'est pas du genre liant. Il s'avère un patron dur et exigeant. Le peintre est narcissique et a un très mauvais caractère (un rôle que Germain Houde parvient à bien rendre, même si son jeu est parfois laborieux). L'apprenti, d'abord victime des frasques du patron, prendra peu à peu sa place et il finira par tenir tête au maître. (Mikhaïl Ahooja incarne ce personnage à merveille, avec aplomb, vérité et sensibilité!)

Une fin très touchante

Le texte de Logan (aussi scénariste au cinéma, notamment pour Hugo, The Aviator, Skyfall) est très elliptique. Une demi-douzaine de scènes qui retracent des moments charnières, des querelles et des discussions entre le peintre et l'apprenti. Peu de développements, de psychologie ou de répliques inutiles, l'auteur va à l'essentiel: l'apprentissage de l'art; le rapport entre les générations; la carapace nécessaire à l'artiste pour survivre au jugement des autres; et son revers, l'inévitable doute nécessaire à la création.

La fin est très touchante. Malgré le succès, «le noir va avaler le rouge» dans la vie de Rothko. Car hélas, comme dit le poète, l'essentiel est invisible pour les yeux.

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Au Théâtre du Rideau Vert, jusqu'au 12 avril.