Serge Denoncourt nourrit ses angoisses. Il en a besoin pour vivre, pour créer. Ce ne sont plus celles du débutant, tant s'en faut, mais il cultive ses inquiétudes de travail pour ce qu'elles recèlent d'intensité et de dépassement.

«Travailler 18 heures par jour à la mise en scène, c'est le bonheur. Ça ne me fatigue pas. Ma thérapie, c'est la salle de répétition. C'est mon terrain de jeu. Mais j'ai encore des angoisses. Si je n'avais pas d'angoisse, je ne serais pas un artiste. Autant arrêter tout de suite.»

Son énergie lui permet de mener trois projets de front en ce moment: GRUBB, qui revient en tournée au Québec, Les liaisons dangereuses chez Duceppe et Rouge, une pièce sur le peintre Mark Rothko, un texte sur la création artistique.

«Je me reconnais complètement dans Rothko, ses colères, ses angoisses, avoue le metteur en scène. Je me suis inspiré du peintre et de beaucoup de créateurs que je connais. C'est un texte qui me brasse beaucoup comme artiste. La réflexion de Rothko, je la fais moi-même.»

La pièce a transité par les mains de Pierre Bernard et Denise Filiatrault avant d'aboutir dans celles du metteur en scène. Tout le monde aime ce texte de John Logan, créé à Londres en 2009 et monté l'an dernier en anglais au Centre Segal.

«C'est le cours d'histoire d'art contemporain le plus extraordinaire au monde, estime Denoncourt. Je crois qu'une partie des spectateurs sera tentée d'aller visiter le Musée d'art contemporain à la sortie.»

Édifice Seagram

Dans Rouge, Rothko est au faîte de sa carrière. Il reçoit une commande de toiles et un cachet mirobolant de la famille Bronfman pour l'édifice Seagram à New York. L'artiste souffre quelque peu du syndrome de l'imposteur et explose sous la pression par moments.

«Dans la pièce, Rothko force son assistant, Ken, à regarder. La pièce est magnifique pour cette initiation à l'art. Il est très dur avec lui au départ, mais il le forme et, lui, apprend à créer.

«Si on fait jouer ce personnage antipathique par un grand acteur, il y a toujours une humanité qui va transpirer. Avec Germain Houde, même en colère, il y a toujours une fragilité en dessous, qui le sauve de tout», décrit Serge Denoncourt.

Il a été plus difficile de trouver un jeune acteur pour jouer Ken, l'assistant qui subit les foudres du maître. Plus d'une trentaine d'auditions ont été nécessaires avant de tomber sur Mikhaïl Ahooja (Les jeunes loups, Mémoires vives).

«Il a le sang-froid nécessaire, juge le metteur en scène. Il est capable de faire face à Germain Houde et de jouer avec lui. Mon angoisse, c'était que Ken soit un faire-valoir, ce qui n'est pas le cas. C'est une pièce à deux personnages.»

Le metteur en scène qualifie d'«extrêmement épuisant» le travail d'acteurs pour cette pièce. «Je ne suis pas reconnu pour laisser les acteurs se reposer. Je ne suis pas reposant. On n'est pas là pour se reposer non plus.»

Germain Houde

Est-ce Rothko ou Denoncourt qui parle? Chose certaine, pour ce grand rôle - son premier depuis longtemps -, Germain Houde semble vivre aussi quelques «angoisses». Le metteur en scène le rassure depuis le début.

«Il éprouve de la difficulté à dormir en ce moment, mais je crois qu'il était ravi de tenir ce rôle. Quand je suis revenu d'Europe, il avait tout lu sur Rothko. Il est prêt.»

Et les limites de chacun dans tout ça? Tout le monde ne peut pas travailler 18 heures par jour.

«Si j'arrivais au bout d'un acteur, ce serait une défaite, estime le metteur en scène. Mon travail c'est de faire en sorte que les acteurs dépassent leurs limites.»

Des Liaisons osées

En plus de Rouge, Serge Denoncourt met aussi en scène GRUBB et Les liaisons dangereuses, cette dernière présentée chez Jean-Duceppe, du 9 avril au 17 mai.

La pièce se déplace cette fois en 1947, là où la mode prend beaucoup de place. Serge Denoncourt promet quelques scènes osées.

«Après tout, c'est bel et bien une oeuvre sur le sexe. Et aujourd'hui, nous en sommes à une époque où le porno est une dominante de la société moderne.»

«On retient toujours la méchanceté des personnages quand on parle des Liaisons, ajoute-t-il, mais tout le monde baise avec tout le monde là-dedans. Leur drogue, c'est le sexe.»

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Rouge, au Théâtre du Rideau vert, du 18 mars au 12 avril.

GRUBB au Québec

Déjà vu par 8000 personnes à Montréal, le spectacle GRUBB revient en tournée au Québec. Serge Denoncourt veut qu'on en parle. Parce que c'est une cause noble et que le racisme envers les Roms existe encore.

GRUBB (Gypsy Roma Urban Balkan Beats) est devenu en trois ans une école où l'aîné de la troupe agit désormais comme assistant du metteur en scène et où les plus jeunes ont vieilli et enseignent leur rôle aux nouveaux.

«C'est la chose qui me nourrit le plus, qui m'empêche de dormir, qui prend le plus de place dans ma vie, affirme Serge Denoncourt. Ce spectacle est un événement. On n'est pas dans le luxe de la création artistique, mais dans la rage de jeunes qui ont quelque chose à dire. Nous sommes face à des jeunes qui nous disent: On sait ce que vous pensez de nous. En deux heures, on va vous faire changer d'avis.»

M. Denoncourt se dit triste de voir que les billets pour la tournée au Québec ne se vendent pas aussi bien que prévu. Un insuccès empêcherait la production de se transporter en France ensuite, là où le racisme envers les gitans reste très fort.

«On parle d'une rencontre, d'un phénomène. Ce n'est pas parce qu'on l'a fait que le racisme a cessé. Le spectacle me bouleverse encore.»

Ce spectacle a changé sa vie, sa façon de travailler et de voir le travail.

«GRUBB est au-dessus de tout. Si je dois tout effacer de mon CV et ne garder qu'un seul spectacle parmi mes 130 mises en scène, c'est celui-là. Ces jeunes m'ont profondément changé.»

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Du 27 mars au 13 avril à L'Assomption, Saint-Jean-sur-Richelieu, Brossard, Saint-Hyacinthe, Sherbrooke, Québec et Laval.