Elle avait entendu parler de Vickie Gendreau à la suite de son passage remarqué à Tout le monde en parle. Du coup, elle a acheté son roman, Testament, et en a commencé la lecture. Je dis «commencé» parce que, deux ou trois jours plus tard, Jade-Mariuka Robitaille a reçu un appel du metteur en scène Éric Jean lui proposant le rôle de Vickie dans son adaptation au théâtre.

«C'est ce que j'appelle la synchronicité, dit-elle. Je pense qu'il faut faire confiance à la vie.»

Cette grande et belle jeune femme a donc été pressentie pour incarner Vickie, atteinte d'une tumeur cérébrale incurable. Vickie Geandreau, qui a eu le temps d'écrire son roman dans l'urgence. Vickie, qui n'avait que 23 ans. Vickie, qui est morte en laissant derrière elle son empreinte, une empreinte de mots.

À 24 ans, Jade-Mariuka, elle, était encore à l'École nationale quand elle a eu l'appel d'Éric Jean.

«On n'avait jamais travaillé ensemble, dit-elle. Éric avait entendu parler de moi par Denise Guilbault, la directrice de l'École, je crois. Je ne sais pas pourquoi son choix s'est arrêté sur moi. Il ne me l'a jamais dit. Pour la personnalité ou la drive, peut-être. Il y avait probablement une question de look, mais j'espère qu'il y avait plus que l'apparence.»

Jade-Mariuka Robitaille n'a rencontré Vickie qu'une seule fois, lors de la lecture publique de Drama Queens, son second texte. C'est cette fois-là que Vickie lui a dit: «T'es chanceuse, t'as un criss de beau rôle.»

La phrase a touché sa cible comme une balle. «J'étais gênée, se souvient-elle. Je me sentais un peu comme une intruse. C'était son moment à elle. Je n'avais pas envie de prendre la place qui lui appartenait. En plus, je n'étais pas en grande forme. Je ne me voyais vraiment pas aller battre des ailes. La rencontre a duré deux secondes. C'est du courage en boîte, cette femme-là. Elle est pour moi synonyme de force et de combat. Elle est morte deux semaines plus tard.»

Des êtres de chair et de sang

On demande à peu d'acteurs de jouer des êtres de chair et de sang. D'ailleurs, Jade-Mariuka a eu peur. Pendant très longtemps. Même à la lecture publique, en septembre dernier, elle avait encore peur.

Or, à un moment donné, elle a compris qu'elle devait, pour y arriver, arrêter d'avoir peur et changer son approche. Oui, c'est Vickie Gendreau. Oui, elle est morte récemment, mais c'est avant tout, en ce qui la concerne désormais, une pièce de théâtre. Il fallait qu'elle l'aborde comme un personnage parmi d'autres.

«Il fallait séparer la fabulation du réel par respect pour elle et sa famille. Sinon, je n'aurais jamais été capable.»

Jade-Mariuka perçoit Testament, la pièce, comme une pure performance théâtrale où un metteur en scène et des comédiens font honneur aux mots de Vickie.

Le personnage, d'ailleurs, s'efface derrière le propos. D'autant qu'à 24 ans, un âge où on pense davantage à vivre qu'à mourir, Jade-Mariuka fait partie de ces gens qui sont habités par la mort.

«Ça me fait peur parce que c'est l'inconnu. Quand j'étais petite, déjà, je faisais de légères crises d'angoisse quand j'y pensais. Ce qui n'est pas normal pour une enfant de 10 ans. C'est une chose qu'on ne peut pas comprendre et j'ai de la misère avec ce que je ne comprends pas.»

Laisser sa trace

Testament est un legs. Des mots, des moments de vie laissés en héritage. La comédienne comprend fort bien la démarche de la romancière. Elle aurait pu partir sans laisser de traces; or, elle a choisi d'en laisser une.

«Le monde a peur d'être oublié. Personne n'en a envie. N'est-ce pas pour ça qu'on a des pierres tombales? C'est comme un besoin d'être éternel.»

On a beaucoup dit de Vickie qu'elle avait un fort rapport à la sexualité et qu'elle était le symbole d'une génération.

Celle qui a grandi avec la technologie et les communications. Celle qui fait que Vickie, même disparue, a un compte Facebook qu'on continue à garder actif. Celle, en tout cas, qui a 20 ans aujourd'hui. Mais qu'est-ce qu'elle a, cette génération, de plus ou de moins que les précédentes?

«Je crois, explique Jade-Mariuka, qu'on est très désillusionnés et en même temps pleins d'espoir. C'est vrai que Vickie symbolisait en quelque sorte notre génération. Elle avait une rage de vivre, la rage de sa jeunesse et en même temps beaucoup de cynisme. Une génération pleine de contradictions, qui veut être super saine, qui boit des smoothies le matin et des jus de fruits, et qui, en même temps, part sur la go pendant une semaine et demie.»

Jade-Mariuka Robitaille a toujours su qu'elle voulait être comédienne. Elle ne savait pas forcément pourquoi, ni ce qui l'attirait dans ce métier, mais elle savait. «Peut-être est-ce mon grand besoin d'attention», dit-elle en toute honnêteté. «Mais je ne suis pas une fille égoïste. En fait, je crois que j'avais envie de raconter des histoires, de rappeler aux gens qu'on est des humains, qu'on a un coeur et que c'est plus important que le poste qu'on occupe ou le statut qu'on a. Notre société pense beaucoup à l'avenir. Or, pour aller en avant, il faut aussi pouvoir regarder derrière.»