En montant La ville de Martin Crimp à Espace GO, Denis Marleau observe les dommages collatéraux du capitalisme sur un couple de la classe moyenne. Entre vérité et mensonge, fantasme et réalité, la pièce agit comme le miroir d'une humanité imparfaite. Une partition sur mesure pour Alexis Martin.

Il n'a jamais été un comédien comme les autres, Alexis Martin. À l'époque où il étudiait au Conservatoire d'art dramatique, au milieu des années 80, il lisait déjà Platon, Aristote, Nietzsche et Bataille. Plus tard, alors qu'il jouait dans des productions du Nouveau Théâtre Expérimental - qu'il codirige aujourd'hui avec Daniel Brière -, le côté intellectuel du jeune acteur fascinait Jean-Pierre Ronfard... et agaçait Robert Gravel.

Gravel et Ronfard, ses deux bons amis disparus trop vite, ont sans doute eu l'instinct de lui faire une place au sein de leur compagnie, parce que Martin condense leurs deux personnalités: le côté éclaté de Gravel, le côté sérieux de Ronfard. Ou vice versa?

Auprès de ses maîtres, Alexis Martin a réalisé deux choses fondamentales: «Il est impossible de changer la nature humaine; et le théâtre contribue à nous faire sentir plus humain.»

Depuis, le saltimbanque joue, écrit, dirige et produit des pièces avec des incursions au cinéma et à la télévision (il fait partie de la distribution de la nouvelle télésérie de Martin Matte à TVA, Les beaux malaises).

«Je répudie le clivage entre le théâtre et la vie intellectuelle, les émotions et les idées», dit-il en entrevue dans le hall d'Espace GO, où il partage la scène dès mardi avec Sophie Cadieux et Évelyne Rompré dans La ville. «Par exemple, le théâtre de Beckett offre autant d'idées que d'émotions. Il faut arrêter de mettre des cloisons, des murs étanches, entre les disciplines. On pense autant avec le corps qu'avec la tête. Tout est lié.»

C'est ce qu'on ressent à la lecture de La ville. La pièce traduite par le romancier Philippe Djian (37,2 le matin) marie l'humour et le drame, le contenu et la forme, l'intime et le social. «C'est une dramaturgie de notre temps, explique Alexis Martin. A priori, le texte a l'air simple. Or, plus on creuse, plus on réalise que c'est une architecture complexe, une construction très fine.»

À la croisée des chemins

En exergue de La ville, l'auteur britannique Martin Crimp (Le traitement), cite Pessoa: «Tout ce que nous faisons dans l'art et dans la vie est la copie imparfaite de notre intention.» Un constat pas vraiment gai? «À 50 ans, même si je garde toujours espoir, je suis plus inquiet qu'à 25 ans, confie Martin. Le capitalisme est à la croisée des chemins. Le marché se comporte comme une machine à broyer les gens.

«Dans la pièce de Crimp, poursuit-il, mon personnage perd son emploi au tout début. Ce qui provoque l'éclatement de son couple, de sa famille... Comme plusieurs de mes contemporains, je m'inquiète de l'instabilité du monde actuel. Peut-être qu'après cinq siècles de capitalisme, on est dû pour essayer autre chose.»

Renouer avec Ubu

Alexis Martin travaille pour la quatrième fois avec Denis Marleau (Les Ubs, Maîtres anciens). À l'instar du metteur en scène, l'acteur accorde une grande importance au texte et à ses résonances philosophiques. «Denis est extrêmement précis dans ses choix de répertoire et dans sa direction d'acteurs. De plus, avec Stéphanie [Jasmin] - qui cosigne la mise en scène -, il a un souci de la forme et de la plasticité. Denis Marleau est une voix unique au Québec.»

Dans la pièce, il est aussi question de notre ville intérieure, qui nous habite tous, selon l'auteur. Celle du personnage de Sophie Cadieux est détruite, en cendres. À quoi ressemble la ville intérieure d'Alexis Martin? «À une petite cité sur une grande île en retrait, comme l'Île aux Lièvres dans le Bas-du-Fleuve. J'ai l'impression que la démocratie marche mieux à échelle humaine. J'imagine une cité bâtie sur une utopie, où la voix citoyenne a réellement du poids.

«J'aime l'idée d'une communauté qui repart sur des bases plus communautaires et participatives, conclut-il. D'ailleurs, il y a un mouvement de penseurs qui prédit la fin des gouvernements nationaux; les vrais lieux de pouvoir seront désormais dans les agglomérations métropolitaines. Comme à l'époque de la Grèce Antique.»

Chassez l'intello, il revient au galop!

La ville, à l'Espace GO. Du 28 janvier au 22 février.