Dans son message à l'occasion de la Journée internationale du théâtre, en 2013, Tankred Dorst écrit que «le théâtre est un art impur et c'est dans cette impureté que réside sa force vitale».

L'auteur allemand illustre parfaitement la précarité et la puissance du théâtre dans sa pièce Moi, Feuerbach, présentement à l'affiche du Prospero, dans une mise en scène de Téo Spychalski, avec Gabriel Arcand dans le rôle titre.

Quel beau texte! Moi, Feuerbach expose les coulisses du théâtre et parle du métier d'acteur. L'histoire est simple: un vieux comédien sans emploi, Feuerbach, vient passer une audition pour un rôle. Dans un théâtre vide, au milieu d'un décor en montage, de techniciens affairés, l'interprète attend en compagnie d'un jeune assistant (Alex Bisping) qu'il méprise.

Au-delà de l'anecdote, l'oeuvre est une touchante métaphore sur la condition humaine, la précarité du «moi», la mince frontière entre le génie et la folie. À travers la psyché fragile d'un acteur, Dorst observe la mince ligne qui sépare l'équilibre du déséquilibre. En faisant avancer son personnage sur un fil de fer...

Avec le temps

Feuerbach vient à peine de déposer les pieds sur la scène, qu'il prend déjà toute la place! Le metteur en scène est en retard. Peu importe: son assistant servira de public. Égocentrique, extravagant, arrogant, le vieil acteur brise le silence et illumine une galerie imaginaire. Il invente des histoires pour les détruire aussitôt.

Feuerbach a du talent, de l'expérience... et du caractère. Mais le temps joue contre lui. Il le sait. En témoigne, ce trou de sept ans dans son parcours professionnel... et personnel.

Alors, le comédien joue avec moins de conviction. Lorsque qu'on lui demande de faire un extrait d'une scène de Goethe, il trébuche sur les mots. Il ne sait plus comment articuler, bouger, projeter. Il se décompose devant son public. Il va disparaître bien avant que les projecteurs ne s'éteignent.

Production magnifiquement ouvragée et dirigée par Téo Spychalski, Moi, Feuerbach est un spectacle qui a de l'âme. Beaucoup d'âme. C'est aussi une rencontre unique et merveilleuse entre un grand rôle et un acteur d'exception. Gabriel Arcand reprend ici ce personnage 18 ans après l'avoir créé et joué à une centaine de reprises. L'acteur est d'une grande vérité, avec un jeu très physique et précis. Le personnage lui colle à la peau, comme un vêtement qu'il porte depuis des années.

Un grand moment de théâtre, à voir absolument.

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Au Théâtre Prospero. Jusqu'au 8 février.