Premier volet de sa tétralogie Jeux de cartes, la pièce Pique de Robert Lepage a pris l'affiche de la TOHU mardi soir. Dans cette création, le prolifique créateur poursuit sa quête de perfection scénique. Mais avec un récit banal et confus.

Disons-le d'emblée: le retour de Robert Lepage au théâtre, après une incursion chez Wagner et l'opéra, est décevant. Bien sûr, le metteur en scène prouve, une fois de plus, qu'il reste un maître de la créativité scénique. Rien ne lui échappe sur un plateau. Lepage peut le transformer à sa guise, tel un architecte de l'imagination.

Le plateau de Pique est circulaire. Les coulisses sont sous la scène, le décor tombe du ciel (la scénographie est signée Jean Hazel), le point de vue est changeant. Un mécanisme, constitué de 36 trappes qui se lèvent et s'abaissent entre chaque scène, nous transporte d'un lieu à l'autre; comme au cinéma. Tour à tour, on se trouve dans un désert, une chambre d'hôtel, un aéroport, une salle à manger, un jacuzzi, un casino... Tout ça est fort beau et ingénieux. Or, le théâtre demeure un lieu de parole avant tout. Celle de Pique ne résonne pas fort dans l'enceinte de la TOHU. En entrevue, Lepage a dit vouloir créer un monde, avec son théâtre «une cosmologie». Encore faut-il insuffler un peu de poésie et de sens à cet univers.

Ici, on a l'impression d'être devant une grosse machine qui tourne à vide. Si la mécanique est bien huilée et impressionnante, elle finit par nous lasser, bien avant la tombée du rideau, au bout de 180 minutes de représentation.

Destins croisés

Produit par la compagnie Ex Machina, le spectacle Pique a été créé à Madrid puis a tourné dans une demi-douzaine de villes européennes. Il sera suivi par la deuxième pièce de Jeux de cartes, Coeur, dès le 30 janvier, à la TOHU. La scène se passe à Las Vegas en mars 2003, alors que George W. Bush vient de déclarer la guerre à l'Irak de Saddam Hussein.

À la manière Lepage, on présente des destins croisés et des drames personnels qui ont une résonance universelle. Un jeune couple de Québec venu se marier à Las Vegas; deux soldats des forces alliées qui s'entraînent dans le désert du Nevada; un producteur de télévision britannique dépendant au jeu; une Parisienne aussi volage que déplaisante; des femmes de chambres latino-américaines.

Hélas, cette diaspora humaine se perd dans un récit confus, décousu, et un propos anémique. Les dialogues (en français, en anglais et en espagnol), sont d'une extrême banalité... et dits par des acteurs assez moyens dans l'ensemble.

Mais de quoi Lepage et sa troupe veulent-ils nous parler au juste? Du monde arabe? Il est totalement absent de cette première partie de la tétralogie. Des dérives militaires américaines? Les personnages de soldats sont anecdotiques. De la décadence de l'empire américain cristallisée par la ville du péché? On l'aborde au stade du cliché sur la luxure et le vice. Du chaos qu'il faut accepter? Un vieil Amérindien - qui ressemble au sculpteur Armand Vaillancourt - revient, ici et là, en traversant le désert avec sa pelle, sans qu'on sache s'il incarne un mirage ou un personnage.

Le plus beau moment de Pique a lieu dans un casino, avec des joueurs automates autour de tables de cartes. La scène est baignée par une lumière artificielle et froide. Pas un mot n'est prononcé durant cinq minutes. On entend seulement le bruit des jetons, des machines à sous et des enseignes clignotantes. Mais il se passe quelque chose! On ressent le vertige des personnages qui essaient de meubler le vide par des gestes mécaniques, répétitifs. Pour se donner l'illusion de gagner leur pari contre le temps et la mort.

Peut-être que Robert Lepage est rendu là dans son oeuvre: se dépouiller des mots et laisser parler les images? Car un théâtre du silence, rempli de bruit et de fureur, vaut mieux qu'une parole pauvre et banale.

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À la TOHU, jusqu'au 25 janvier.

Photo: fournie par Ex Machina