Robert Lepage a brièvement rencontré La Presse hier. Nous lui avons posé quelques questions.

Q : Vous avez toujours aimé vous mettre en danger. La scène circulaire, c'est le risque que vous avez pris dans Jeux de cartes? C'est ce que vous n'aviez jamais fait avant?

R : Il y a ça, mais aussi, thématiquement, parler du monde arabe, c'est aussi risqué. Sur le plan de la circularité, j'avais déjà travaillé avec Peter Gabriel sur son deuxième spectacle que j'ai fait avec lui. Donc, c'est sûr que j'avais déjà été confronté à certaines contraintes. Mais là, c'est différent. C'est du théâtre. Comment on créée l'intimité avec le spectateur quand il faut jouer pour du monde derrière? Ce n'est pas facile. Mais moi, j'aime beaucoup les contraintes, parce que souvent on y trouve des solutions poétiques et artistiques qui contribuent au récit.

Q : En vous écoutant parler de la dynamique de la scène circulaire, de la résonnance, et de la relation avec le spectateur, on en vient à se demander pourquoi vous ne l'avez pas fait avant. Vous a-t-il fallu passer par le cirque pour en arriver là?R : Je ne sais pas. Ça a l'air d'une évidence, mais à l'époque où je suis sorti du Conservatoire, j'étais intéressé, comme beaucoup d'autres créateurs, à imiter le cinéma. En travaillant sur des plans horizontaux. Il y a une chose que j'ai apprise en travaillant avec le Cirque du Soleil et Peter Gabriel, c'est que quand on travaille en circulaire, la verticalité devient très importante. Et ça c'est le propre du théâtre. C'est un rapport vertical aux choses.

Q : Qu'est-ce qui se rapproche du cirque dans ces deux productions théâtrales? Est-ce que le côté performatif des acteurs?

R : Il y a ça effectivement. Dans Pique, il y a six comédiens qui interprètent plus d'une trentaine de personnages, je ne les compte plus... Alors oui, il y a un côté acrobatique dans les changements de décors et de costumes puisque tout se passe sous la scène. Mais c'est beaucoup lié à cet aspect vertical du spectacle. À la façon d'occuper l'espace aérien. Le spectateur regarde de bas en haut. C'est ce que j'ai retrouvé en travaillant avec le circulaire. L'idée que l'être humain est dans le milieu. Et qu'il est tiré vers le haut par l'inspiration divine et ramené au sol par ses démons est aussi très intéressante.

Q : Au départ, qu'est-ce qui a déclenché ce projet de Jeux de cartes et ce rapprochement avec le monde arabe? Un voyage? Un livre?

R : Au départ, je ne savais pas que les jeux de cartes et le tarot étaient un héritage du monde arabe. J'avais eu l'idée des jeux de cartes, parce qu'il s'agit de quelque chose d'universel, mais le lien avec le monde arabe est venu plus tard. À force de réfléchir à la symbolique des jeux de cartes, je me suis rendu compte que c'était très riche comme thème.

Q : Pour vous c'est en quelque sorte un retour au théâtre, après les opéras Le ring et Tempest, ainsi que le film Tryptique.R : Effectivement. Les derniers quatre ou cinq ans, je les ai beaucoup passé à New York au Metropolitan Opera. Mais en même temps, ça m'a servi d'inspiration pour cette tétralogie. Et puis, il y a des spectacles de théâtre qui ont continué à être présentés un peu partout, donc je n'ai jamais complètement quitté le théâtre.

Q : Vous dites souvent que les acteurs sont émus sur scène, mais qu'ils ne sont pas toujours émouvants. En quoi ces deux pièces seront-elles émouvantes pour le spectateur?

R : Il y a une galerie de personnages et une multiplicité de situations qui, je crois, feront en sorte que les spectateurs pourront s'identifier à l'un ou l'autre d'entre eux. Il faut d'abord s'identifier. Il y a des histoires très simples qui vont émouvoir les gens. Et ces histoires contiennent la plus grande histoire. Celle avec un grand «H».

Q : Les petites histoires dans la grande histoire. La rencontre ou le frottement entre l'Orient et l'Occident, ce sont des thèmes récurrents dans votre oeuvre.

R : Oui. Ce sont des thèmes inépuisables.