Toute sa vie, Jean-Louis Roux a fait passer le théâtre avant ses idées politiques. Hélas, une controverse politique l'a rattrapé, non sans raison, à la fin de sa carrière.

«Comme directeur artistique du TNM, de 1966 à 1982, je me suis toujours interdit de donner quelque caractère politique que ce soit à mes choix de répertoire ou de collaborateurs dans les productions de mes saisons», écrivait-t-il, en 1995, au comédien, André Montmorency. Une lettre ouverte de ce dernier l'avait terriblement blessé. À ce moment-là, Roux se voyait «la cible» (selon ses mots) d'attaques des artistes souverainistes. Il se sentait seul, isolé dans les sombres coulisses de la vie publique.

Car l'idéal de Jean-Louis Roux était le théâtre avant toute chose. Dans le programme de L'Avare, la première production du TNM, en 1951, il signe avec, entre autres, Jean Gascon, un mot qui ressemble à un manifeste. Les cofondateurs affirment la place importante du théâtre «pour la vie d'une nation. Nous avons un idéal. Nous ne craignons pas de le placer trop haut, car il faut que le théâtre occupe la place qu'il mérite dans la Cité».



Évoluer avec le théâtre


Au fil de temps, la Cité change. Or, Jean-Louis Roux va suivre l'évolution de la création québécoise. Même si la parole des jeunes auteurs est souvent à l'opposé de la sienne.

Monsieur Roux a reconnu, un peu sur le tard, le génie de Michel Tremblay. Il a repris Sainte-Carmen de la Main au TNM, alors que Jean Duceppe avait laissé tomber la pièce, après une création bancale. Le directeur a mis à l'affiche une production mémorable de Bonjour, là, Bonjour, signée Brassard, en 1980.

Le comédien a même joué dans la version anglaise de la pièce, à Toronto.

Dans les années 1970, le directeur a défendu et programmé des pièces engagées, féministes, nationalistes... À ses yeux, le théâtre est aussi fait pour provoquer l'immobilisme de la société. On a alors vu au TNM des créations comme La nef des sorcières; Marche, Laura Secord; P'tit Jésus bonjour; sans oublier Les Fées ont soif, le controversé pamphlet féministe de Denise Boucher; pas vraiment une auteure fédéraliste...

Jean-Louix Roux admirait Gaston Miron («l'un de nos plus grands poètes», a-t-il écrit dans sa biographie Nous sommes tous des acteurs). Dans les années 1990, il accepte l'offre de Michelle Rossignol, au Théâtre d'Aujourd'hui, de jouer dans une pièce de Jean-François Caron, Saganash, que des critiques ont interprétée comme «une parabole sur l'indépendance du Québec»!

Homme érudit, esprit libre et ouvert, acteur classique et précis, à la diction impeccable, parfaitement bilingue, aussi à l'aise à Stratford qu'à Avignon, Jean-Louis Roux était un shakespearien qui rêvait de rayonner au pays de Claudel. Or, par chance, il est né dans la province de Tremblay. Ce tempérament lui a permis d'être l'un des acteurs importants de la naissance du théâtre moderne au Québec.

Il a occupé de nombreux postes-clé parmi les institutions culturelles: directeur général de l'École nationale de théâtre (dont il avait collaboré aussi à sa mise sur pied), président du Conseil des Arts du Canada; et, bien sûr, la belle et grande aventure du TNM.

Malgré ses airs hautains, son tempérament déterminé, son autorité, il restait un acteur dans son coeur. Donc un homme qui doute: «Avais-je le talent suffisant pour jouer le rôle du roi Lear», écrit-il encore dans ses mémoires, revenant sur sa performance au TNM, en 1993. «J'ai toujours prétendu que beaucoup d'artistes, dans notre métier, ne savent pas vivre de leurs dons propres et veulent à tout prix accéder au génie.»

L'humilité est la marque des grands. Le dernier survivant des fondateurs du TNM peut aller rejoindre ses camarades: les Gascon, Hoffmann et Groulx. Pour envoûter les fantômes au paradis.