L'homme de théâtre Jean-Louis Roux, dont la carrière s'est échelonnée sur plus de 70 ans, est mort jeudi soir à Montréal. Il avait 90 ans.

«Il est mort sans douleur», a précisé son garçon Stéphane Roux, joint par La Presse hier. Jean-Louis Roux se trouvait dans un centre de soins de longue durée depuis environ six mois. «Il est mort de son grand âge et de lassitude, a-t-il confié. Il avait toute sa tête, mais son corps ne suivait plus.»

Stéphane Roux s'est dit «très touché» par les témoignages d'amitié des collègues et amis de son père. Il était à son chevet avec sa mère Monique Oligny.

Comédien, metteur en scène, administrateur mais aussi politicien durant une courte période de sa vie, Jean-Louis Roux a aussi été un des cofondateurs du Théâtre du Nouveau Monde. Échelonnée sur plusieurs décennies, sa carrière compte également plusieurs rôles au cinéma et à la télévision. Aujourd'hui, d'aucuns ont salué son immense contribution au monde des arts du Québec.

Entre ses premiers pas sur les planches avec les Compagnons du Saint-Laurent en 1939 et sa présence dans le film C.R.A.Z.Y. de Jean-Marc Vallée en 2005, Jean-Louis Roux aura vécu une carrière de plus de 60 ans dans le monde des arts au Québec.

C'est d'abord et bien entendu pour son travail colossal accompli au théâtre qu'il a laissé sa marque. De Molière à Claudel, de Tchekhov à Ducharme en passant par Gauvreau, Ionesco, Shakespeare et tant d'autres grands noms, Jean-Louis Roux a joué dans plus de 200 pièces en plus d'en signer quelque 70 à titre de metteur en scène.

«Nous sommes de cette génération d'acteurs qui sont arrivés au théâtre par l'entremise de la littérature», a confié le comédien Gilles Pelletier à La Presse.

Ce dernier connaissait Jean-Louis Roux depuis l'adolescence, période à laquelle ils ont fréquenté un camp scout au lac Simon. Il se souvient de l'avoir vu jouer lorsqu'il était élève au collège Sainte-Marie. «Jean-Louis avait joué le rôle de Jeanne d'Arc dans une distribution toute masculine. C'était extraordinaire!», lance-t-il.

Né à Montréal le 18 mai 1923, Jean-Louis Roux vient d'une famille où l'on est médecin de père en fils. C'est dans ce domaine qu'il entame des études à l'Université de Montréal en 1942. Mais en parallèle, l'homme est attiré par la vie d'acteur. Depuis 1939, il fait partie de la célèbre troupe des Compagnons du Saint-Laurent fondée et dirigée par le père Émile Legault.

En 1942, Roux et son ami Jean Gascon jouent dans la pièce L'échange de Paul Claudel, mise en scène par Ludmilla Pitoëff, de passage à Montréal. Cette dernière aura une grande influence sur la vie des deux hommes qui, en 1946 (Roux) et en 1947 (Gascon), vont la rejoindre à Paris pour jouer dans sa troupe.

De retour à Montréal en 1950, Jean-Louis Roux fonde le Théâtre d'Essai avec son ami Éloi de Grandmont. L'année suivante, l'institution change de nom et devient le Théâtre du Nouveau Monde (TNM) qui, encore aujourd'hui, est situé rue Sainte-Catherine. Roux joue dans la toute première pièce qui y a été présentée, L'avare de Molière, le soir du 9 octobre 1951.

«Nous avions les rôles d'Élise et de Valère [des amants], se remémore Janine Sutto. C'était un partenaire de jeu rassurant et très présent. Moi qui avais le trac, je me souviendrai toujours de lui durant ces moments-là.»

Après Jean Gascon, M. Roux est le deuxième directeur du TNM, de 1966 à 1982, avant de prendre la direction de l'École nationale de théâtre du Canada de 1982 à 1987.

«J'étais à la fois impressionnée par l'acteur et par le directeur Jean-Louis Roux, confie Lorraine Pintal, actuelle directrice du TNM. De son désir d'éveiller les consciences et de ne faire aucun compromis dans sa programmation. Et aussi, de sa considération pour les acteurs.»



Cinéma, télévision


Son travail est tout aussi prolifique à la télévision et au cinéma. Les aînés se souviennent toujours de son rôle d'Ovide dans la série télévisée La famille Plouffe, entre 1953 et 1959.

À la télévision, on l'aura vu dans L'Île-aux-Goélands, La côte de sable, Duplessis, Riel, Laurier, etc. Au cinéma, il a tenu des rôles dans plusieurs films, dont Éclair au chocolat, Cordélia, Les portes tournantes, Mon ami Max et Liste noire.

Sa longue carrière est jalonnée de nombreux prix. Dès 1969, il reçoit le prix Victor-Morin remis par la Société Saint-Jean-Baptiste et saluant une personne qui s'est distinguée au théâtre. S'ajoute au fil des années le prix Molson, le World Theatre Award, le prix Denise-Pelletier. Il était aussi membre de l'Ordre du Canada et de l'Ordre national du Québec.



La descente aux enfers


Sa carrière connaît toutefois un passage houleux au milieu des années 90, lorsqu'il tâte de la vie politique.

En 1994, ce fédéraliste convaincu est nommé au Sénat canadien. Durant la période référendaire de 1995, il traite les intellectuels québécois de «sortes de nazis». Un an plus tard, le premier ministre Jean Chrétien le nomme lieutenant-gouverneur du Québec. Un geste qui attise la colère des souverainistes avec à leur tête le nouveau premier ministre du Québec, Lucien Bouchard.

Au moment de prendre ses fonctions, Jean-Louis Roux accorde une entrevue au magazine L'actualité dans laquelle il reconnaît que, durant ses années de médecine, il a porté une croix gammée sur une manche de sa blouse. Au déchaînement collectif que soulève cette révélation, il répond qu'il ne s'agissait là que de «fanfaronnades». Mais l'affaire est devenue trop grave. Pressé de toutes parts, Jean-Louis Roux démissionne de ses fonctions royales.

En 1998, il est nommé président du Conseil des arts du Canada, poste qu'il occupera jusqu'en 2004. À son retrait, il reçoit le prix du Gouverneur général. Il jouera une dernière fois sur les planches du TNM en 2006, incarnant Don Louis dans le Don Juan de Molière.

Le 6 octobre 2011, M. Roux a participé à la soirée soulignant les 60 ans du TNM. Cette soirée était dédiée aux sept fondateurs du TNM, dont M. Roux était le seul survivant. Les autres fondateurs sont Jean Gascon, Guy Hoffman, Georges Groulx, André Gascon, Robert Gadouas et Éloi de Grandmont.