On est d'emblée étonné lorsqu'on entre dans la salle du Prospero pour assister à Oxygène, l'étourdissant duel écrit par le dramaturge russe Ivan Viripaev. Une vaste tente blanche, de celles qu'on loue pour une réception, occupe tout l'espace et on est invité à prendre place à l'une des quelque quinze tables de plastique blanc. Il n'y a pas de nappes, mais des centres de table avec de petites bouteilles de savon pour faire des bulles. Et un bar.

Christian Lapointe semble convier l'assistance à célébrer. Mais célébrer quoi, au juste? On dirait d'abord un mariage. Ève Pressault arrivera en effet en robe de mariée et Éric Robidoux en smoking. Mais, non, on ne célébrera pas l'amour. La beauté du monde? Non plus. La vie? Oui, mais non. Enfin, peut-être...

Commandements

Sous la forme d'un féroce duel verbal articulé dans le désordre autour de l'idée des dix commandements de l'Ancien Testament, Oxygène parle d'un monde à la fois trop plein et dépourvu de sens où les valeurs en vogue sont parfois diamétralement opposées aux instructions que Moïse a notées au sommet du mont Sinaï. Un monde en perdition? Peut-être... Chose certaine, c'est un monde où les gens avancent à tâtons, tiraillés entre des visions du monde trop binaires pour être vraies.

Ce portrait touffu, échevelé, porté par des acteurs qui jouent parfois deux personnages appelés Sasha et qui, par moments, les observent de l'extérieur, ne déboulonne même pas de grandes vérités. Il fait la démonstration à la puissance 10 qu'il n'y a au contraire rien d'immuable. Que ce qui bouille au fond de chacun, parfois sous un bonheur de façade, c'est un magma de questions, de désirs contradictoires et d'incertitudes quant au chemin à prendre dans la vie.

Duel remarquable

Il y a quelque chose de brutal dans ce face à face. De désespérant, même, dans ce duel porté par les performances remarquables d'Ève Pressault et d'Éric Robidoux. Or, le ton du spectacle ne l'est pas. L'humour, bien que sombre, permet d'éviter l'asphyxie. L'habile et très drôle grammaire corporelle que le metteur en scène impose à ses acteurs agit aussi positivement sur deux niveaux: elle ajoute réellement une couche de sens au texte, tout en imposant une distance ludique avec le propos.

Et si on ressort d'Oxygène étourdi et même un peu abattu, il est possible d'en tirer une certaine lumière. Une bouffée d'Oxygène exutoire? Ce serait pousser un peu fort que de l'affirmer. Disons plutôt que ce texte «confrontant», et parfois déroutant, invite davantage à réévaluer sa façon d'être au monde qu'à simplement baisser les bras. En l'absence d'un sens unique à l'existence, n'est-ce pas un monde de possibilités qui s'offre?

Au Théâtre Prospero jusqu'au 14 décembre.