Il n'est pas aisé de déboulonner un mythe. Celui de Séraphin Poudrier, ce terrible avare, si obsédé par son pécule qu'il sacrifie tout le reste, y compris sa femme Donalda, demeure universel. Hélas, Viande à chien, la pièce librement inspirée du roman de Claude-Henri Grignon, Un homme et son péché, présentée à Espace libre, en conserve peu de choses.

La pièce s'amorce avec la voix de Robert Lepage qui nous résume le destin tragique de Donalda, victime de l'avarice de son mari. Celle-ci (Noémie O'Farrell), en robe blanche au milieu d'un loft immaculé, regarde à la télévision une entrevue avec un spécialiste qui parle de l'imminence d'une tempête solaire sur la Terre (comme dans le film Melancholia).

Au lieu de s'alarmer devant la catastrophe annoncée, Séraphin tentera d'en tirer profit. En vain. Alexis est ici un jeune photographe qui revient d'un voyage dans l'Ouest, où il s'est initié à la culture amérindienne. Sans jamais oublier son amour pour Donalda. Ni pouvoir la sauver.



Beige Séraphin!


Le Nouveau Théâtre Expérimental et le Théâtre des fonds de tiroirs ont mis à jour, dans l'ombre de la crise financière de 2008, ce mythe pour rappeler son actualité.

Ce «pamphlet anticapitaliste» a été écrit en 1933, durant la Grande Dépression. Mais ce Séraphin, devenu un courtier qui profite des marchés en folie, est bien inoffensif.

Pauvre Sébastien Dodge qui, parmi une distribution inégale, doit défendre ce personnage très beige, dans une langue improbable, livrant au micro des répliques anodines (eh oui, les voix des acteurs sont amplifiées à l'Espace libre!).



Viande à chien ressemble à une version inachevée de ce qui pourrait, éventuellement, devenir une pièce. Ce texte écrit par Jonathan Gagnon, Alexis Martin et Frédéric Dubois (qui signe aussi la mise en scène) aligne trop d'idées, sans avoir une ligne directrice. La mise en scène de Dubois est éparpillée, laborieuse.

Qui plus est, le soir de la première, la régie ratait souvent ses «indications»: les «noirs» et les temps morts entre les scènes duraient une éternité. L'utilisation de la vidéo est sans intérêt et n'aide pas à insuffler un peu de rythme au spectacle de moins de 90 minutes.

Une cabane à jardin Fisher-Price, plantée à l'extrémité du loft, contient une installation de «patenteux» à l'intérieur. Ce bidule musical est censé évoquer l'inconscient de Séraphin... Reste que l'environnement sonore étrange de Pascal Robitaille est, à notre avis, le seul bon point de cette création.

Au final, Viande à chien est une proposition obscure, bizarre, enchevêtrée, avec un message trop simple: l'argent et l'appât du gain se nourrissent de notre peur de mourir.

Si le temps, c'est de l'argent, on sort de cette production un peu plus pauvre qu'à notre arrivée.

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Jusqu'au 7 décembre, au théâtre Espace libre