Sous le couvert d'une grossière comédie de cour, cette pièce créée il y a plus de 20 ans par l'Américain David Hirson est beaucoup plus dérangeante qu'on pourrait le croire... Pas étonnant qu'elle ait été couronnée de succès depuis sa création.

Nous sommes en plein XVIIe siècle, dans une France monarchique qui entretient sa propre troupe de théâtre. Pour le meilleur et pour le pire. Dans La bête, qu'a traduite en alexandrins Jean-Guy Legault, le chef de troupe s'appelle Élomire (anagramme de Molière).

Un jour, le protecteur royal de la troupe, le prince de Conti, recrute un artiste de rue nommé Valère pour alléger le répertoire de sa compagnie de théâtre, qu'il juge trop élitiste. Trop noir et dense. Avec un but: populariser la culture. Voilà un sujet d'actualité!

Sauf que ce Valère, interprété par Vincent Côté, est un cuistre et un bouffon qui s'écoute parler. Durant la première heure du spectacle, il en fera la preuve, monologuant dans une interminable logorrhée. Au point qu'on ne l'écoute plus...

Il faut bien le dire, ces longues digressions, aussi pénibles soient-elles (et elles le sont !), relèvent du tour de force. Vincent Côté, qu'on a vu récemment dans Oleanna, est à cet égard impressionnant. Dans l'art de déblatérer, difficile de faire mieux!

Vous l'aurez deviné, le bras de fer oppose Valère à Élomire. Et si l'on prend volontiers le parti d'Élomire au départ, pour des raisons évidentes, Valère, malgré ses bouffonneries, marque des points et gagne peu à peu la faveur de la cour.

Dans la deuxième partie - armez-vous de patience, la pièce dure près de trois heures avec entracte -, les autres membres de la troupe royale font leur apparition, donnant lieu à des tableaux de groupe qui sont bienvenus.

Valère parviendra à les charmer un à un avec sa pièce sans queue ni tête. Une pièce «conçue pour être à chier».

Un jeu dangereux

Au fond, La bête est une formidable parodie de ce qu'est le théâtre, avec ses artifices, ses prétentions et ses vanités. Et tout ce qu'il a d'insupportable. Mais sous des dehors de bouffonnerie, la pièce de Valère cache-t-elle une critique sociale?

Plus encore, même médiocre, si le théâtre attire les foules, n'est-ce pas là une bonne chose? La bête soulève en effet des questions extrêmement pertinentes. Mais il s'agit d'un jeu dangereux. Car en voulant faire la preuve d'un théâtre médiocre et assommant, on finit inévitablement par assommer le spectateur.

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À la salle Fred-Barry du Théâtre-Denise-Pelletier jusqu'au 16 novembre.