Contrairement au souvenir qu'en a Lopakhine, au début de La Cerisaie, Lioubov n'est pas «aimable», encore moins «simple», dans Variations pour une déchéance annoncée, une création d'Angela Konrad et de sa compagnie La Fabrik, d'après la pièce d'Anton Tchekhov.

Perruque blonde, verres fumées, manteau de fourrure et coupe de champagne à la main, Lioubov (géniale Dominique Quesnel qui a trouvé un rôle à la mesure de son talent!) vacille sur ses talons aiguilles. Elle n'arrive plus à cacher son amertume. Sa blessure est béante. Elle ressemble à une Marilyn Monroe des mauvais soirs. Une star déchue qui sera incapable de garder, non seulement sa propriété, mais aussi sa dignité.

Toutefois, Lioubov lutte, parce qu'il faut bien vivre. Et parce que «les stars ne se rendent pas: elles se désintègrent.»

La plus belle surprise de la saison

Tchekhov est presque sur toutes les scènes montréalaises, cet automne. Mais c'est du côté de l'Usine C, avec ce spectacle d'Angela Konrad, que vient la plus belle surprise de la saison. La metteure en scène propose une relecture de La Cerisaie, avec une vision actuelle, un angle percutant, une sensibilité et un désir d'insuffler des idées et des formes nouvelles à l'oeuvre de Tchekhov.

Des idées nouvelles, voilà bien l'âme et l'esprit du théâtre de Tchekhov.

Angela Konrad a secoué sa Cerisaie dans tous les sens: théâtre dans le théâtre; décrochages pirandelliens où l'acteur parle de son personnage; trame sonore éclatée et efficace (de la Callas à Amy Winehouse, en passant George Delerue et Kurt Weill); utilisation de la vidéo; numéros de cirque; citations de Baudrillard et Lipovetsky! Cette création est résolument contemporaine.

Si, parfois, l'exercice de dépoussiérer les classiques peut s'avérer périlleux, voire prétentieux, ici, la metteure en scène, aidée par une solide distribution, rend bien service à l'auteur russe. Tout en le dépouillant de la tradition qui peut peser sur son oeuvre comme une chape de plomb.

«Quand nous avons soif, il nous semble que nous pourrions boire tout un océan: c'est la foi. Et quand nous nous mettons à boire, nous buvons un verre ou deux: c'est la science», a écrit l'auteur de La Mouette, dans son journal. C'est cela Tchekhov. La quête de l'équilibre entre deux pôles aussi inévitables que la naissance et la mort.

La démesure et la raison, la passion et la réalité, l'humour et la tristesse, la douceur de vivre et la violence de la vie. Tout ça fait partie de La Cerisaie et de ce spectacle qui se déploie aussi intensément que Lioubov s'agite sur scène. Dans sa grandeur et sa misère, ses drames et ses espoirs.

Si vous aimez le théâtre laboratoire qui prend des risques, courez-voir cette création. Vous n'en sortirez pas déçu.

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Jusqu'au 16 novembre, à l'Usine C.