Quel héritage lègue-t-on - et à qui - au terme d'une vie? C'est la question qui hantait le personnage joué par Michel Dumont dans Une maison face au nord, pièce de Jean-Rock Gaudreault présentée en 2009 chez Duceppe.

Dans La traversée de la mer intérieure, il étend ce questionnement à celui d'une génération, celle des baby-boomers, à travers le drame d'un homme politique interprété par le même acteur.

Michel Dumont se glisse ici dans la peau de Rosaire Bouchard, 70 ans et veuf depuis peu, qui décide de se lancer en politique provinciale. Ce n'est pas un néophyte: il a jadis été député provincial de Roberval et maire de Péribonka, au Lac-Saint-Jean. Solange Lemieux (Pauline Martin), son adjointe depuis toujours, l'épaule dans cette nouvelle campagne électorale.

Mais le monde a changé. Le parti de Rosaire Bouchard aussi. À Québec, on ne veut pas de lui, alors on lui envoie un stratège de la ville. Un jeune de 35 ans (Pierre-François Legendre), qui n'a pas de grande mémoire historique et ne peut vivre sans l'internet sans fil ni le site de microblogage Twitter. Une caricature de jeune professionnel, en somme.

Le conflit générationnel est prévisible. L'affrontement a lieu. Sans grande subtilité, malheureusement. Et c'est là le principal problème de La traversée de la mer intérieure: c'est une pièce politique caricaturale où on entend beaucoup la voix de l'auteur qui, en faisant du jeune stratège politique un personnage plutôt inculte, limite cynique et hypocrite, fait surtout l'éloge des hommes de la Révolution tranquille sans trop en critiquer l'héritage.

Jean-Rock Gaudreault, au passage, met dans la bouche d'un personnage secondaire joué par Marc Legault sa vision de la tragédie du Québec: une société qui a fait un bond magistral avec la Révolution tranquille, mais dont la quête identitaire s'est dissoute dans la mondialisation. De toutes les réflexions politiques de la pièce, cette tirade est la plus intéressante. Elle passe toutefois après la petite politique, qui domine la pièce.

Pauline Martin est juste dans le rôle de Solange, l'adjointe dont le dévouement cache (mal) son amour secret. Entre désinvolture et presque trou de mémoire, a-t-on cru remarquer, Michel Dumont, lui, ne convainc pas complètement. L'ascendant de son personnage sur les autres dans le texte l'aide beaucoup à tirer son épingle du jeu. Pierre-François Legendre, en revanche, défend avec beaucoup d'adresse une partition mince et un rôle ingrat.

Ce n'est toutefois pas suffisant pour relever la production. La traversée de la mer intérieure, mise en scène assez platement par Monique Duceppe, effleure la complexité du monde, baigne dans la nostalgie et se réfugie dans un consensus qui n'invite ni à la critique ni à l'action. Un bien maigre résultat pour un propos aussi ambitieux.

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Jusqu'au 7 décembre.