Les quatre premiers vers des Cendres bleues, récit poétique de Jean-Paul Daoust, adapté par la compagnie L'Homme allumette au Théâtre d'Aujourd'hui, donnent le ton de l'oeuvre:

«Être un homme blessé/D'avoir connu le sexe enfant/Six ans et demi/Puis la mort trop vite.»

La suite est un long chant d'amour, teinté de douleur et d'extase. Sujet chaud et proposition particulière. Le genre d'objet qu'il faut recevoir et non juger, et qui fait discuter après le spectacle et réfléchir à ses propres limites.

Enfant, Jean-Paul Daoust a été agressé par un homme de 20 ans. Avec raison, il en a été marqué toute sa vie. Or, au lieu d'accuser son agresseur, de lui demander justice et réparation, l'écrivain a expié sa souffrance en écrivant, 40 ans après les événements, un poème de 2000 vers dans lequel l'agresseur est dépeint comme un amant merveilleux, un prince du désir, un ange bleu... Bien qu'allégoriquement, il finit par mourir.

Paysages choisis

Le metteur en scène Philippe Cyr a abordé ce texte avec beaucoup de sensibilité et de doigté. On sent son admiration, son respect, pour l'oeuvre du poète. À partir d'une narration à la première personne, Cyr a formé un choeur de trois voix parallèles, avec les acteurs Jean Turcotte, Sébastien David et Jonathan Morier (ce dernier brille particulièrement, il s'approprie les vers avec candeur et son jeu déborde de fraîcheur).

Pieds nus, le trio se déplace sur un plateau rempli d'eau, bercé par les très beaux éclairages de Marie-Ève Pageau; un décor qui évoque le fleuve au bord duquel les amants illicites contemplaient les splendides couchers de soleil, «dans leur château de tôle et de bois».

«J'ai été un enfant violé dans le plus beau des paysages», écrit encore Daoust dans Les cendres bleues. En cherchant la lumière et la beauté dans le drame de son enfance, le poète transgresse les règles morales. Il construit une cathédrale et fait résonner la création qui, par définition, est un acte d'amour. Et le sang du poète.

«Le génie de Daoust est de faire coïncider les émotions de l'enfant avec le regard de l'adulte qu'il est devenu», a écrit le critique Jean Royer, à la parution du livre, en 1990. «Son poème nous fait voir le douloureux apprentissage de la vie dans l'amour même, ou plutôt dans une passion dont la vie contient la mort.»

C'est de survie - et non de pédophilie - qu'il est ici question. La survie d'un poète, dont l'âme, trop sensible, trouve réconfort et consolation dans les mots. La devise de Jean-Paul Daoust pourrait être: éblouir, pour ne pas mourir.

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Au Théâtre d'Aujourd'hui (salle Jean-Claude Germain), jusqu'au 9 novembre.