Comédienne, metteure en scène et auteure, Julie Vincent inscrit son théâtre dans un dialogue entre le nord et le sud de l'Amérique. Soledad au hasard poursuit ce maillage à la fois imaginaire et bien concret entre Montréal et Buenos Aires.

Rien de plus naturel pour les artisans du théâtre québécois que d'avoir un oeil sur la France, le Royaume-Uni et l'Allemagne. Mais l'Amérique du Sud? Julie Vincent multiplie depuis des années les allers-retours dans le cône sud. Jocaste, avant-dernier spectacle de sa compagnie Singulier Pluriel, a d'ailleurs été présenté en tournée dans six villes réparties au Brésil, en Argentine, en Uruguay et au Paraguay.

«C'est toujours avec les moyens du bord que se fait ce va-et-vient nord-sud», précise la femme de théâtre. Elle qui vogue vers ses 60 ans joue là-bas dans des conditions que des créateurs plus jeunes trouveraient eux-mêmes aussi difficiles: elle squatte chez des amis ou des connaissances, répète dans des lieux mal chauffés et joue dans un circuit de salles indépendantes elles aussi peu en moyens.

Julie Vincent le fait par conviction artistique et parce qu'elle croit que pour rester vif, il faut prendre des risques. Sa plus récente création, Soledad au hasard, poursuit ce maillage entre le Québec et l'Argentine à travers la rencontre d'une photoreporter montréalaise (Julie Vincent) et d'une conteuse argentine (Liliane Boucher) venue à la recherche d'une «héroïne».

Troubles à Buenos Aires

Créée à Québec il y a quelques jours, la pièce scrute les quêtes parallèles de ces deux femmes qu'on devine liées par un événement inconnu survenu à Buenos Aires lors des troubles qui ont suivi l'effondrement de l'économie argentine, au début des années 2000. «Mes personnages permettent d'aller de l'intime à la fresque sociale», résume Julie Vincent.

La démarche qu'elle décrit ramène spontanément à l'esprit le très beau film Sur, de Fernando Solanas, qui raconte avec beaucoup de poésie le retour à la maison d'un prisonnier politique. Julie Vincent n'avait pas ce film en tête en créant Soledad au hasard, mais d'autres. «On ne renie pas des cinéastes comme Antonioni, que j'ai beaucoup aimé, ou ceux de la Nouvelle Vague, qui avaient une manière de lier l'intime au politique», dit-elle.

Scène argentine

Soucieuse de ne pas trop en dire au sujet de la trame de sa pièce (qui a un côté «thriller», selon elle), la femme de théâtre est intarissable au sujet de sa découverte de la scène théâtrale argentine. Elle est fascinée par ses liens avec les sources italiennes, le rôle que joue l'improvisation dans l'écriture et le dévouement de ses artisans, qui oeuvrent dans des conditions difficiles.

«Les acteurs ont trois ou quatre jobs et répètent entre 10h du soir et 2h du matin», soutient-elle. Il s'agit d'un théâtre de nécessité: des centaines de compagnies indépendantes seraient d'ailleurs nées l'année même où l'économie du pays s'est effondrée. Julie Vincent, on le pressent, trouve là, précisément, ce qui nourrit son théâtre: l'urgence de prendre la parole.

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Soledad au hasard,jusqu'au 25 octobre à La Licorne.