Deux créations de la rentrée théâtrale de l'automne sont des adaptations de la célèbre tragédie de Jean Racine Britannicus... publiée en 1669! La Presse a discuté avec les deux jeunes auteurs à l'origine de ces projets distincts: Steve Gagnon et Marilyn Perreault.

Steve Gagnon : La quête du dehors

En dessous de vos corps je trouverai ce qui est immense et ne s'arrête pas est le titre (beaucoup trop long, il est au courant) de la troisième pièce de Steve Gagnon depuis sa sortie du Conservatoire de Québec, en 2008 (après La montagne rouge et Ventre). Une libre adaptation de Britannicus de Racine.

Depuis qu'il a incarné le personnage de Néron pendant sa formation au Conservatoire, Steve Gagnon rêvait de reprendre le rôle de ce jeune empereur romain assoiffé de pouvoir, cherchant à s'affranchir du joug de sa mère et s'éprenant de la fiancée de son demi-frère Britannicus, qu'il empoisonne finalement.

«J'avais capoté sur son énergie, son impulsivité, raconte le jeune auteur et comédien. Il y a une volonté de pouvoir et un désir destructeur chez lui qui sont fascinants. Sa volonté aussi d'avoir accès à l'immense et au sublime, c'est la première fois que je retrouvais tout ça dans un personnage.»

Il y a deux ans, il a relu la pièce dans le but de la monter, mais il a été freiné par les contraintes liées au texte - écrit en alexandrins - et au contexte de l'époque. «J'ai trouvé des choses super inspirantes, mais je ne trouvais pas ces contraintes-là stimulantes. J'ai donc décidé de créer mon propre Néron. Au Québec, en 2013.»

Frères de sang

Qu'a-t-il conservé du texte de Racine? «J'ai voulu amener un lien de sang entre les frères Britannicus et Néron qui, dans la pièce de Racine, sont des demi-frères. Dans la vie, un ami qui nous fait chier, on arrête de le voir, mais avec un frère, c'est plus complexe... donc, j'ai rajouté cet élément.»

Steve Gagnon a également conservé le personnage de la mère, Aggripine, qui a une mainmise totale sur cette famille. Il a maintenu la relation d'amour entre Britannicus et Junie. Et le désir destructeur de Néron pour Junie. Tout en accordant une place prépondérante à Octavie, fiancée de Néron, absente de la pièce de Racine.

Toute cette belle famille n'a rien de royal. Plutôt des Montréalais qui dirigent un commerce familial. Mais Aggripine est contrôlante et resserre l'étau autour de ses garçons. Le personnage de Néron étouffe là-dedans et ne rêve que de prendre la fuite. «Ça devient une course à qui va mettre le feu à cette maison-là», note Steve Gagnon.

«Au fond, la pièce traite de notre quête du dehors, résume-t-il. De ce désir plus grand que nature d'avoir accès à quelque chose d'infini et d'immense. Mais auquel on n'a pas accès parce qu'on recherche un certain confort. Parce qu'on accepte une vie minuscule programmée d'avance.»

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Du 1er octobre au 9 novembre, à La Licorne.



Marilyn Perreault : La tyrannie de l'intimidation

Marilyn Perreault, brillante dans la pièce Robin et Marion d'Étienne Lepage, en est elle aussi à sa troisième pièce après Les apatrides et Roche, papier, couteau. Elle avoue avoir d'abord eu du mal avec la pièce de Racine qu'elle avait lue au collège de Saint-Hyacinthe. «J'étais très jeune, j'avais à peine 17 ans et j'étais un peu en chicane avec Racine... Je le trouvais loin de moi.»

Des années plus tard, en 2008, elle a relu la pièce à la demande d'une compagnie de Québec qui voulait en faire une adaptation contemporaine. «Quand j'ai replongé dans cette lecture-là, j'ai compris pourquoi on continuait de la monter. Il y a toutes sortes de ramifications avec ce qui se passe aujourd'hui», dit l'auteure et comédienne.

La pièce a finalement été créée à Sherbrooke il y a deux ans. Près de 50 représentations plus tard, la voici qui s'amène pour la première fois à Montréal.

Injustice

Qu'est-ce qui a tant marqué Marilyn Perreault dans la pièce de Racine? «Ça m'a tout de suite fait penser au meurtre de Reena Virk, cette adolescente de Victoria, qui a été intimidée et battue à mort par une bande de jeunes filles en 1997.» Joan Macleod a d'ailleurs écrit une pièce, Cette fille-là, qu'a défendue Sophie Cadieux.

«Cette histoire m'a longtemps hantée, explique-t-elle, parce que c'est une injustice épouvantable. Une fille sur laquelle on tape pendant des années et que finalement on invite un soir dans un party en lui faisant croire qu'elle va faire partie de la gang. Mais qui finit par être battue à mort...»

«C'est ce qui se passe dans la pièce de Racine, poursuit Marilyn Perreault. Britannicus accepte le souper de réconciliation organisé par sa mère et se fait empoisonner par son demi-frère Néron... De la même manière que Néron a un rapport destructeur avec le pouvoir, un groupe d'intimidateurs peut faire de l'école son royaume.»

Dans Britannicus Now, les jeunes filles d'une école secondaire montent donc la pièce Britannicus. La jeune fille sur laquelle on tape tout le temps joue le rôle de Britannicus, tandis que celle qui l'intimide joue le rôle de Néron. Les filles de leur entourage réalisent qu'il y a un parallèle entre le contenu de la pièce et la réalité de cette fille...

Dans la reconstitution des événements, on apprend que Brittany est morte à la suite d'une représentation de la pièce. «Dans un réduit où elle se réfugiait lorsque c'était trop intense avec les filles qui la tabassaient.» Est-ce qu'elle a été tuée ou est-ce qu'elle s'est suicidée, la fin est ouverte.

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À la salle Fred-Barry du Théâtre Denise-Pelletier, du 9 au 25 octobre.

Photo: fournie par la production

Qu'est-ce qui a marqué Marilyn Perreault dans la pièce de Racine? «Ça m'a tout de suite fait penser au meurtre de Reena Virk, cette adolescente de Victoria, qui a été intimidée et battue à mort par une bande de jeunes filles en 1997», répond-elle.