Tandis que le débat sur la Charte des valeurs québécoises et la place de la religion dans notre société laïque fait rage, il est bon de s'arrêter pour mettre les choses en perspective. L'espace d'une soirée à la Salle Fred-Barry, on plonge dans un passé pas si lointain du Québec. Avec sa pièce La Carnivore pourpre, Maryse Pelletier s'inspire de faits réels survenus dans les années 1930, ainsi que de la correspondance intime (et secrète) entre le frère Marie Victorin (fondateur du Jardin botanique de Montréal) et son assistante, soeur Marcelle Gauvreau.

L'auteure précise qu'elle a inventé une histoire et non écrit une biographie. Sa pièce met à l'avant-plan la belle complicité scientifique entre deux religieux, chercheurs en botanique, qui se transforme en amour impossible, voeu de chasteté oblige!

Ce texte met surtout en perspective «l'héritage du patrimoine catholique québécois» dont on parle tant ces jours-ci. On réalise que ce patrimoine s'est érigé, entre autres, sur le mépris de l'intelligence, la soumission des femmes à l'autorité cléricale et patriarcale, et l'ignorance de la sexualité (les protagonistes, pourtant si érudits en matière de sciences et de culture, n'ont pas la moindre image de l'anatomie du sexe opposé...).

Dans leur laboratoire, le frère Edmond (Jean Maheux) et sa complice, soeur Jeanne (Tania Kontoyanni), sont isolés de leur communauté. Comme des Pierre et Marie Curie en uniformes catholiques, on les voit assis autour d'une grande table, plongés dans le travail et leurs recherches afin d'élaborer un herbier qui deviendra plus tard ce grand ouvrage qu'est La Flore laurentienne.

Rapidement, cet espace de liberté va les rendre suspects dans leur entourage. Lorsque la soeur d'Edmond, mère Marie de la Divinité (Markita Boies), vient voir son frère dans le laboratoire, c'est davantage par crainte de le voir s'abandonner au péché de la chair... que par curiosité scientifique.

Si le texte de Pelletier distille notre intérêt, la mise en scène lourde, poussive et ennuyeuse nous distrait du propos. Anne Millaire a de la difficulté avec la notion de rythme au théâtre, étirant la pièce de longs noirs entre les scènes. Sa mise en place est aussi malhabile: le public passe trop de temps à regarder les acteurs se déplacer. Les longues scènes de toux (Edmond et Jeanne ont la tuberculose) n'ajoutent rien au récit. Heureusement, le jeu des acteurs sauve la donne, à commencer par l'interprétation de Tania Kontoyanni, tout en retenue et en vulnérabilité en Jeanne.

Malgré ses bémols, La Carnivore pourpre jette un bel éclairage sur cette période de l'histoire du Québec religieux. Et nous console des dérives du Québec actuel.

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À la salle Fred-Barry jusqu'au 5 octobre, 19 h 30.