Depuis sa création, il y a un an, Un a été présentée une quarantaine de fois au pays, que ce soit en français ou en anglais. La pièce a même été jouée à Paris, au Théâtre national de Chaillot. La semaine prochaine, Mani Soleymanlou s'en ira présenter Un au Yukon! Juste avant de rentrer à Montréal pour présenter Deux, la suite, qu'il défendra sur scène avec Emmanuel Schwartz.

Tout a commencé par Un. Ce solo autobiographique créé au mois de novembre dernier dans lequel l'acteur Mani Soleymanlou s'interroge sur ses origines iraniennes et partage ses questionnements identitaires qui laissent entrevoir un grand vide. L'auteur y parle de son exil qui l'a mené de Téhéran à Paris, puis au Canada. À Toronto, à Ottawa, et enfin à Montréal, où il vit aujourd'hui.

Un, c'était pour «un Iranien», «un Français», «un Canadien», «un Québécois», «un homme parmi tant d'autres», rappelle l'auteur et comédien. Cette quête identitaire a visiblement trouvé son public. «C'est le mal du siècle, dit-il. L'appartenance à un peuple et le désir de se définir et de savoir qui on est n'ont jamais été aussi forts. Plus on se mélange, plus on cherche à se nommer. Plus on veut s'ancrer.»

Étant donné qu'il a quitté l'Iran étant enfant, Mani Soleymanlou s'est bien sûr questionné sur la part d'Iranien qu'il pouvait revendiquer. «Si on enlève chacune des couches de mon identité, qu'est-ce qui reste? demande-t-il. Suis-je iranien? Pas vraiment. Suis-je québécois? Pas tout à fait. Suis-je canadien? Outre mon passeport, non... Au-delà de ma barbe, mon nom et mon accent, il reste un vide.»

Dans Un, l'auteur se dit pourtant à l'aise avec ce vide... «C'est vrai, répond-il. Au début, je vivais bien avec ce vide. D'être un petit peu de tout, un petit peu de rien. Mais à force de faire ce spectacle, je me suis dit que ce vide prenait un autre sens. Comme si j'étais dépossédé de mes mots. Je me suis demandé si j'étais vraiment bien avec ce vide. C'est pour ça que j'ai créé Deux. Pour approfondir la question.»

Prise deux

«Je voulais savoir ce qu'il restait de ma quête identitaire, poursuit Mani Soleymanlou. Je voulais mesurer le poids de mes mots. Jusqu'où je suis prêt à endosser ce que j'ai dit. Pourquoi, aujourd'hui, je m'en fous de l'Iran, alors qu'il y a quatre ans, quand les Iraniens étaient dans la rue, j'étais ému et j'écrivais là-dessus. La vérité, c'est que plus je joue Un, moins je le trouve vibrant et nécessaire.»

Dans Deux, Emmanuel Schwartz joue le personnage de Mani en reprenant le texte d'Un. Pendant ce temps, Mani observe ce que son personnage est devenu. «Je le corrige au fur et à mesure, dit-il. En fait, je n'en finis plus de changer le texte. On comprend que je ne lâcherai jamais prise sur ces paroles-là. J'avais besoin d'Emmanuel pour voir plus clair, même si, en fait, tout est plus compliqué...»

Rapidement, la ligne entre Emmanuel et le personnage de Mani qu'il incarne se brouille. Jusqu'au point où on ne sait plus qui est qui. Emmanuel Schwartz a d'ailleurs teint ses cheveux et sa barbe en noir, pour ressembler à son ami. «À un moment donné, je le questionne sur ses origines, explique Mani. Je lui dis: "Ton père est juif, parle-moi de toi..." Mais il refuse d'embarquer dans cette quête...»

Petit à petit, les deux personnages glissent sur le terrain de l'actualité. «Dans les conflits entre Mani et Manu, il y a le moi et l'autre, le eux et le nous, nous dit Mani Soleymanlou. Le principe de la pièce, c'est qu'ils ne parviennent pas à dialoguer. Après, il y a des moments de tension et de détente. Parfois, on est dans le théâtre, parfois, on en sort.»

«L'expérience a été extrêmement confrontante, nous dit Emmanuel Schwartz. Je m'identifie à la thèse du vide identitaire exposé par Mani, mais j'ai pris conscience de mon absence de prise de position. J'ai réalisé que j'avais envie d'avoir une quête claire, mais que je ne savais pas exactement ce que je voulais revendiquer. C'est cette peur et cette confusion que j'exprime.»

Emmanuel Schwartz a écrit des passages de Deux. Qu'est-ce qu'il a mis sur la table? «J'ai essayé d'être aussi honnête que Mani. Et ce qu'il en ressort, c'est l'impression pessimiste de notre avancée. À savoir que ce conte, cette histoire fabuleuse de l'ouverture culturelle et de l'avancée de la civilisation pour le bien de tous, est un leurre et qu'on avance tranquillement vers une autre guerre.»

«À la fin de Deux, conclut Mani Soleymanlou, on se retrouve devant l'énormité de ce questionnement identitaire. Nos deux personnages veulent dialoguer, ils veulent parler d'identité, de Montréal, des Juifs, des Iraniens... Mais c'est plus grand qu'eux. C'est pour ça qu'il y aura une suite: Trois. Si Un portait sur la quête personnelle de Mani et Deux est le reflet de deux êtres humains d'une ville comme Montréal, Trois sera la prise de parole d'une société.»

Deux.

Du 24 septembre au 5 octobre au Théâtre La Chapelle.