On connaît la scénariste et réalisatrice Paule Baillargeon pour ses films Anastasie Oh! ma chérie, Le sexe des étoiles, Claude Jutra, portrait sur film ou, plus récemment, pour son autoportrait intitulé Trente tableaux. On connaît aussi l'actrice qui a joué dans d'innombrables films, dont Gina, Jésus de Montréal, Un 32 août sur terre ou Love-moi. Mais la comédienne de théâtre, qui a pourtant commencé sa carrière avec la troupe du Grand cirque ordinaire, fuit maintenant les planches. Son dernier projet, Tout comme elle, mis en scène par Brigitte Haentjens, remonte à 2006...

«J'ai le trac au théâtre, confesse Paule Baillargeon. C'est difficile pour moi. Je joue encore parfois, mais le moins possible. Je préfère être derrière la caméra...» La comédienne a pourtant accepté de jouer dans la pièce Empreintes, de la metteure en scène Geneviève Blais. Un spectacle construit autour de L'événement d'Annie Ernaux, qui fait le récit de son avortement clandestin en 1963.

«Ce qui m'a donné envie de participer à ce projet, c'était de porter la parole d'Annie Ernaux, dit la comédienne. J'aimais le contraste entre l'expérience de cette femme plus âgée qui s'est fait avorter clandestinement et celles des six jeunes femmes.»

C'est en lisant un article sur les 20 ans de la légalisation de l'avortement (il y a cinq ans) que Geneviève Blais a eu envie de parler à des femmes qui ont vécu un avortement. Pour savoir ce qu'il en reste aujourd'hui.

«Ma génération a grandi avec la pilule et le droit à l'avortement, dit-elle. Mais j'ai réalisé qu'il n'y a pas si longtemps, les femmes n'avaient pas le droit de se faire avorter...» Elle a donc fait paraître une petite annonce et rencontré une cinquantaine de femmes qui se sont toutes confiées à elle.

«C'est un choix vertigineux, lourd de responsabilités. Certaines en ont gardé un souvenir douloureux. Elles m'ont beaucoup parlé de leur rapport à la maternité.»

À partir de ce récit d'Annie Ernaux et de fragments des histoires recueillies auprès de la cinquantaine de femmes qu'elle a rencontrées, Geneviève Blais a construit la matrice d'Empreintes: sept récits qui s'entrecroisent, défendus par sept interprètes, qui ne sont jamais en dialogue entre elles. Non, elles s'adressent directement à nous, le public. Paule Baillargeon, mais aussi Isabelle Guérard, Kathleen Aubert, Eugénie Beaudry, Victoria Diamond, Nico Lagarde et Estelle Richard. Tous les cas de figure y sont évoqués. Celles qui n'ont plus jamais eu d'enfants. Celles qui en ont eu. L'impact, surtout, qu'a eu l'avortement dans leurs vies.

Paule Baillargeon ne s'en cache pas, elle a elle-même vécu un avortement illégal il y a 40 ans. Une intervention pratiquée par le Dr Morgentaler dans de «bonnes conditions».

«Je pense que c'est important de témoigner de cette expérience aux jeunes filles d'aujourd'hui. Parce qu'avec le gouvernement conservateur, tout est possible. L'avortement légal ne sera jamais acquis. La vérité, c'est que la vie passe par le corps des femmes. Et que c'est nous qui exerçons ce droit de vie ou de mort. C'est terrible et fantastique à la fois. Mais le patriarcat n'a jamais supporté ça...»

Évidemment, l'expérience d'Annie Ernaux nous ramène à une époque pas si lointaine, où les femmes ne jouissaient pas de cette liberté.

«Son histoire est bouleversante parce que, contrairement à moi, elle a vécu son avortement dans les pires conditions possible, détaille Paule Baillargeon. Elle a d'ailleurs failli en mourir. Je la trouve quand même proche de moi dans son désir de raconter sa vie et de transmettre ce qu'elle a vécu aux plus jeunes générations de femmes. On n'est pas si loin du temps où les filles provoquaient des fausses couches en déboulant les escaliers, avec de l'eau de javel ou en utilisant des broches à tricoter...»

Cette prise de parole et ce besoin de transmission, Paule Baillargeon les juge plus nécessaires que jamais. «Je trouve que les jeunes filles d'aujourd'hui sont coupées de leur passé récent. Je ne trouve pas qu'elles sont toujours en mesure de défendre notre héritage. Elles vivent dans un monde totalement conformiste, avec cette obligation de beauté, de la maternité, de l'allaitement, à laquelle elles se soumettent aujourd'hui... Je regarde ça avec beaucoup d'inquiétude. Il ne faudrait surtout pas oublier les batailles que les femmes ont menées dans les années 70 pour plus d'équité et de bonheur.»

Du 23 avril au 5 mai au Théâtre La Chapelle