Le fantôme de Nelly Arcan est à l'Espace GO. Et sa parole, bouleversante, est une longue lettre d'adieux. Tous les mots puisés dans son oeuvre - L'enfant dans le miroir, Putain, Folle et Burqa de chair - annoncent son suicide. Un suicide inévitable, planifié, expliqué, publié. Avec une clarté qui donne la chair de poule. Il faut bien l'admettre, toute la puissance de ce spectacle réside dans la mort d'Isabelle Fortier. Même si on aimerait croire qu'il aurait pu être monté de son vivant...

Deux rangées de cases vitrées abritent les sept comédiennes, qui interprètent seules, puis en choeur, ces monologues torturés qui ont mené à sa mort, en 2009. Tout son mal être y est exposé. De son obsession de la beauté à son irrépressible besoin d'être vue en passant par son cynisme sur les couples d'amoureux. «Vouloir mourir dépend de la vie qu'on a menée, écrit Nelly Arcan dans Burqa de chair. C'est une chose qui se développe et qui arrive quand on est mangé par son propre reflet dans le miroir.»

La mise en scène sublime de Marie Brassard ressuscite la parole de l'auteure qui nous plonge dans les profondeurs de son âme. Les voix amplifiées par un système de micros charrient les mots de Nelly Arcan, bien accrochés à la musique d'Alexander MacSween, qui renforce notre impression d'être face à son spectre. De leurs cases vitrées, comme autant de cercueils ou de vitrines abritant mannequins ou putains, les filles sont prisonnières; comme Nelly Arcan l'était de son vivant. L'image est forte.

Les comédiennes sont toutes les unes meilleures que les autres. Honnêtement, il s'agit d'une des créations les plus marquantes de la saison. Sophie Cadieux, Julie Le Breton, Christine Beaulieu, Johanne Haberlin, Evelyne de la Chenelière et Monia Chokri nous livrent avec coeur et intelligence le point de vue sans compromis de Nelly Arcan. Autre beau flash: l'interprétation d'Anne Thériault, qui se promène de case en case et qui danse à l'avant scène, libre comme l'air, comme un formidable symbole de la vie après la mort.

L'adaptation de Sophie Cadieux et Marie Brassard est extrêmement cohérente. Elles ont trouvé le fil rouge qui traverse l'oeuvre d'Arcan, largement autobiographique. En évoquant ses blessures de jeunesse, dont le décès de sa soeur, elles parviennent à tracer les contours de solitude. «Quelque chose en moi n'a jamais été là» écrit-elle. Ou encore «C'est moi au fond qui suit malade, qui ne sait pas applaudir ce que je ne sais pas être, forte et active...»

La fureur de ce que je pense nous fait ressentir toute la tristesse et la souffrance de Nelly Arcan. Quand elle évoque les cheveux qui continuent de pousser après la mort, on aperçoit la longue coiffe des sept comédiennes face à nous... Et quand, à la fin, elle dit «Je ferai de ma mort une affiche qui se multipliera sur les murs, je mourrai comme on meurt au théâtre, dans le fracas des tollés», on se rend compte qu'on vient d'assister à son suicide.

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Jusqu'au 4 mai à l'Espace GO.