Serge Denoncourt avoue être «facile à ramollir» lorsqu'il s'agit de monter une pièce historique. «L'histoire est une véritable passion pour moi, dit-il d'entrée de jeu. Et l'histoire de France, je la connais bien.» Après Christine, la reine-garçon, de Michel Marc Bouchard, qu'il a mis en scène au TNM l'automne dernier, voici que le metteur en scène se frotte à ce texte d'Antoine Rault, qui fait le récit des dernières années du cardinal Mazarin auprès du jeune roi Louis XIV.

«Monique [Miller], avec qui je travaille depuis 25 ans, avait vu la pièce à Paris, raconte Denoncourt. Elle voulait qu'on travaille ensemble avec Michel [Dumont]. Je n'ai pas été très difficile à convaincre. Ce sont de grands acteurs. On les tient pour acquis, mais Monique Miller, c'est notre Maggie Smith; Michel Dumont, notre Orson Welles. Ce sont des acteurs au sommet de leur art! Dans les rôles de Mazarin et Anne d'Autriche, ils forment un couple machiavélique et manipulateur, amoureux du pouvoir.»

La pièce d'Antoine Rault, créée à Paris en 2008, est en tous points fidèle à ce fascinant chapitre de l'histoire de France du XVIIe siècle que raconte également Alexandre Dumas dans Le vicomte de Bragelonne, note Denoncourt. Nous sommes en 1658, la France est en guerre contre l'Espagne depuis plus de 20ans, et le cardinal Mazarin, premier ministre du roi Louis XIV, négocie la paix entre les deux puissances en planifiant les noces du roi avec l'infante d'Espagne, Marie-Thérèse.

Sauf que Louis XIV est amoureux de Marie Mancini, la nièce de Mazarin. Le cardinal et la mère du roi, Anne d'Autriche, feront tout pour décourager le jeune monarque de se marier avec elle. Ce sont les derniers mois de vie de Mazarin. Gravitent autour de lui ses principaux conseillers, dont Jean-Baptiste Colbert, qu'interprétera Jean-François Casabonne, «qui donne froid dans le dos, précise Denoncourt. C'est un serpent au sang froid».

Intrigue politique et amoureuse, Le diable rouge relate aussi le passage du roi Louis XIV à l'âge adulte, d'adolescent à régnant. «Moi, c'est ce qui m'a le plus touché, indique Denoncourt. Cet ado qui est ouvert, drôle, intelligent, qui va tomber amoureux d'une fille qu'il ne pourra marier pour des raisons d'État, et qui va devenir un homme dur. Ce garçon, qui a aimé Anne d'Autriche et Mazarin d'amour, s'est quand même rendu compte à un moment donné qu'ils avaient régné à sa place.»

«Répliques assassines»

Le texte d'Antoine Rault est d'une redoutable efficacité. «La pièce est bien écrite, bien construite, mais l'histoire, la vraie, que l'auteur nous relate est encore mieux, dit Denoncourt. Et cette histoire est passionnante. Je monte cette pièce pour le plaisir. Le plaisir de l'histoire, de l'intrigue, des répliques assassines, de l'humour et des grands acteurs que je dirige.» D'ailleurs, les comédiens sont ceux avec qui Denoncourt travaille depuis des années. On le lui reproche d'ailleurs parfois, mais il s'assume pleinement.

Outre Monique Miller, Michel Dumont et Jean-François Casabonne, on retrouvera Magalie Lépine-Blondeau et François-Xavier Dufour dans les rôles de Marie Mancini et Louis XIV. «Magalie est devenue ma protégée. Elle est très belle, mais c'est aussi une grande comédienne. C'est Sophia Loren, c'est Alida Valli. Elle est voluptueuse et joue à la fois avec beaucoup de profondeur. François-Xavier a l'intelligence du texte. Tu l'entends devenir un homme. Lui aussi, je sais que dans 30 ans, il va continuer de jouer.»

Pourquoi monter cette pièce aujourd'hui? «Ah, la question. L'histoire devrait nous apprendre des choses. Or, elle ne nous apprend rien! répond Serge Denoncourt. L'exploitation de la classe moyenne, la manipulation d'argent, la corruption, la collusion, c'est très actuel. Mazarin aujourd'hui, il serait à la commission Charbonneau!» Comble d'ironie, le matin même de notre entretien, l'ex-ministre français du Budget, Jérôme Cahuzac, était mis en examen pour fraude fiscale...

Quel a été le plus grand défi du metteur en scène auprès des comédiens? «Dans cette pièce, la clarté de la parole l'emporte sur l'émotion, nous dit Denoncourt. C'est une joute de mots, d'idées. Le corps est en veilleuse. J'ai beaucoup insisté là-dessus auprès des comédiens: «Arrêtez de bouger», je leur disais. Le pouvoir du texte est vraiment dans la parole. La parole comme arme. C'est très français. La mise en place des acteurs est aussi minimale. Avec Guillaume Lord, on a travaillé à s'effacer derrière le texte.»

À la fin, le personnage de Mazarin est obsédé par son legs à l'Histoire. «Il est tout-puissant, il est intelligent, c'est un politique de grande envergure, mais il a un talon d'Achille, détaille Denoncourt: «Qu'est-ce qu'on va dire de moi après ma mort?» Il veut se faire construire un collège, un opéra, il veut aussi léguer son nom! Au fond, on peut dire qu'il a réussi puisque c'est le nom que Mitterrand a donné à sa fille illégitime, Mazarine.»

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Du 10 avril au 18 mai chez Duceppe.