Nos désirs ont presque toujours un prix. Taxes en sus. Notre existence défile sous nos yeux sous la forme de colonnes de chiffres censées avoir un sens. Peut-être même être le sens d'une vie dans ce monde mené par l'économie où on met un prix sur le téléphone dernier cri comme sur un écosystème entier. Pourtant, ne sommes-nous pas plus que des mathématiques?

Cliché ou malaise légitime? Cliché, songe-t-on fugitivement quand Jess (Marie-Hélène Thibault) soulève la question vers la fin d'Amour/Argent. Puis, on se rappelle qu'on se trouve chez Dennis Kelly. Ce dramaturge britannique, dont on a aussi vu Orphelins et Après la fin, n'a pas l'habitude de faire la morale. Les dilemmes moraux, il ne fait que les poser, parfois brutalement, sur notre conscience.

Amour/Argent, mise en scène par Geoffrey Gaquère, est une pièce en tableaux où les acteurs s'adressent souvent directement à l'assistance. Sa trame narrative morcelée suit à rebours la trajectoire tragique d'un couple miné par la surconsommation et les problèmes d'argent. Les statistiques concernant l'endettement des foyers canadiens laissent croire que ce peut être vous. Ou votre voisin de siège.

Dennis Kelly creuse ici de manière habile notre rapport avec l'argent. Son rôle central dans nos relations sociales et l'estime de soi. Il montre le pouvoir de ceux qui en ont et la honte qui étouffe ceux qui en ont eu. L'indifférence de ceux qui tiennent les calculatrices et le gouffre qui s'ouvre devant ceux dont le solde est négatif. Il montre le bonheur maladif d'acheter et le vide de posséder...

Tout ça au fil de dialogues ou de monologues fins et sculptés dans une langue brute qui sait ménager ses effets et lever tranquillement le voile sur l'envers du décor, la face cachée des âmes. Une mécanique que Geoffrey Gaquère fait tourner d'une manière fluide, mais dérangeante et même touchante (le couple Benoît Dagenais et Danielle Proulx).

Direction précise, ton juste

Sa direction d'acteurs est précise, jamais appuyée, et le ton, fort juste. Il faut dire qu'il a une distribution brillante sous la main, à commencer par Marie-Hélène Thibault (émouvante et pathétique) et Isabelle Roy (excellente dans tous les rôles qu'elle campe ici). Mais c'est toute la distribution (complétée par Patrick Hivon et Mathieu Gosselin) qui avance comme un bloc pour porter ce texte savoureux et nécessaire, qui s'achève sur une délicatesse qui a pourtant l'effet d'un coup de massue.

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Amour/Argent, à la Petite Licorne jusqu'au 27 avril.