Toute sa vie, Jean Genet s'est opposé au pouvoir blanc. Il était contre les règles et les lois blanches, toujours du côté de l'opprimé, du colonisé qui, selon lui, ne pouvait pas avoir la même couleur de peau que celle du colonisateur.

Pas surprenant que Genet intéresse Dieudonné Niangouna, au point de lui consacrer depuis deux ans un spectacle, La dernière interview, présenté jusqu'à samedi seulement à l'Espace Libre. Car l'acteur congolais, qui se dévoile autant que son sujet, entretient avec l'Europe («le continent des civilisateurs») un rapport amour/haine similaire à celui de l'auteur des Paravents.

Avec la conceptrice et metteure en scène parisienne, Catherine Boskowitz, Niangouna nous propose donc cette incursion dans l'univers de Genet, à partir du dernier entretien télévisé accordé par l'écrivain au journaliste de la BBC Nigel Williams. Une entrevue réalisée en juillet 1985, moins d'un an avant sa mort. Genet conclut l'entrevue ainsi: «Vous voulez qu'on aborde le problème du temps? Eh bien, je répondrai comme saint Augustin à propos du temps: «J'attends la mort».» C'est un drôle d'objet théâtral, à la fois sérieux et comique, songé et improvisé. Bougeant sans cesse, prenant les spectateurs à partie, l'acteur étire et épouse la représentation comme un artiste de la performance. Il sort de scène, déambule dans les gradins et quitte même la salle, pour mieux revenir après un moment de silence et d'attente.

Les propos iconoclastes de Genet lui servent à lancer des pistes de réflexion: sur l'écriture, la représentation théâtrale, l'injustice, les relations Nord-Sud.

Et aussi sur le mythe de Genet, fabulateur ou déstabilisateur? Marginal admiré et méprisé de l'intelligentsia.

L'auteur du Journal d'un voleur commence l'entrevue en rappelant qu'il a été condamné pour 14 vols: «C'est vous dire que j'étais un mauvais voleur, puisque je me faisais toujours prendre.» Plus loin, il se demande pourquoi les techniciens ne se révoltent pas et acceptent en silence leur rôle passif. Puis, il dénonce son interrogatoire et exprime sa colère (contre lui-même) pour avoir accepté l'invitation de la BBC. Il se lance dans une diatribe après avoir vérifié, auprès de l'interviewer, si la caméra marche bien?! Pas révolté au point de parler dans le vide, cher Genet.

«Le théâtre que je préfère, c'est celui qui saisit la société en diagonale, dira-t-il. Il qualifie son théâtre de «maladroit» et qu'il «gagnait peut-être quelque chose de nouveau parce qu'il était maladroit».

Voilà qui résume notre sentiment par rapport à cette production française. Ce spectacle drôlement ficelé, bien joué, mais ouvert aux maladresses et aux imperfections, rend finalement très bien justice à Genet, au théâtre et à la prise de parole.

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À L'Espace Libre, ce soir à 19 h; le 5 avril à 18 h 30; le 6 avril à 16 h et 20 h