L'immortelle Barbara a chanté qu'il ne faut jamais revenir au pays de son enfance. Olivier Keimed l'a donc fait à la place de son père. Ce dernier a quitté l'Égypte avec ses parents en 1952, à 6 ans, sans se douter qu'il n'y remettrait plus les pieds.

En 2008, l'auteur a entrepris un périple au pays de ses aïeux. Toutefois, c'est trois ans plus tard, pendant les événements du Printemps arabe, qu'Olivier Keimed a décidé d'écrire Furieux et désespérés, sa pièce inspirée de son voyage qui vient de voir le jour au Théâtre d'Aujourd'hui.

Comme à son habitude, Keimed signe un très beau texte, traversé par des éclairs de poésie. À partir des souvenirs de sa famille, il nous raconte une histoire universelle, dont le sens dépasse sa prémisse. L'auteur met en lumière cette blessure profonde qui marque tous les exilés de la Terre: ces hommes et ces femmes déchirés entre le lourd poids du passé... et la promesse d'un avenir meilleur.

Furieux et désespérés retrace le voyage de Mathieu, personnage alter ego de Keimed (joué par l'excellent Maxim Gaudette). Le récit chronologique est interrompu, ici et là, par des appels téléphoniques du fils au père (Denis Gravereaux) resté à Montréal.

Mathieu commence la pièce en touriste naïf et émerveillé, tandis que ses proches, dont une cousine paternelle, Béatrice, (merveilleuse Marie-Thérèse Fortin en mère Arabe dominante) sont en situation de crise... familiale, politique et sociale.

Du choc culturel va surgir une prise de conscience, mais aussi, un désenchantement.

Je vous écris du Caire...

Cette ville étrangère n'est jamais nommée, mais le fil des événements évoque Le Caire (le décor très abstrait de Romain Fabre constitué de 300 boîtes de carton beige empilées dans le fond de la scène en rend les dédales et la fragilité).

Entre le désarroi de ceux qui restent et le déni de ceux qui partent, Olivier Keimed ne tranche pas. Il nous montre plutôt la distance qui sépare chacun des personnages; qu'ils soient révoltés ou résignés, furieux ou désespérés, ils sont tous - sans exception - enfermés dans leur solitude.

L'auteur a fait le choix de mettre lui-même en scène son texte. C'est légitime. Mais cette oeuvre résolument personnelle aurait profité de l'apport d'un regard extérieur. Le texte penche un peu vers le mélo (l'idylle entre les jeunes Nora et Eryan est plus loufoque que tragique). On aurait pu couper dans des scènes moins fortes (la course de Mathieu en taxi, le magasin de La Pithye...) et mieux diriger les comédiens.

Ces derniers semblent hésiter entre le ton très littéraire (des monologues) et un jeu caricatural (la bataille dans le poste de police!).

Reste qu'au final, cette production, sans être parfaite, est un bel exemple de l'ouverture de la dramaturgie québécoise. Car le théâtre d'ici n'a jamais été autant tourné vers le monde et ses enjeux multiples et complexes.

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Au Théâtre d'Aujourd'hui, jusqu'au 16 mars.