Dire qu'une pièce est actuelle est le plus affreux des clichés. Sauf si c'est la pure vérité. Cinq visages pour Camille Brunelle et le iShow, qui prendront l'affiche sous peu à Espace Go et à l'Usine C, posent une question bien de notre temps: les médias sociaux auraient-ils transformé nos vies en pièce de théâtre?

Ils sont cinq, trois filles et deux gars, alignés dans la salle de répétition d'Espace Go. Elles sont belles. Ils sont beaux. Pas encore 30 ans. Ou tout juste. Ils se présentent: état civil, cocktails favoris, style vestimentaire, groupes préférés, livres lus et films cultes. Chaque fois qu'un acteur commence une phrase par «j'aime», on pense à ce petit mot sur lequel on clique sur Facebook.

Guillaume Corbeil a délibérément calqué le langage et le mode de représentation utilisés par le puissant réseau social pour sa pièce Cinq visages pour Camille Brunelle. «J'aimais l'idée que Facebook est comme un théâtre, un lieu où on se met en scène et où on façonne son masque à travers des photos, des statuts, un style d'humour ou des goûts», explique-t-il.

La mise en scène de soi se trouve au coeur de sa pièce, elle-même dirigée par Claude Poissant. Ce déluge de référence tient lieu d'identité à ces jeunes adultes nés avec l'internet et qui n'ont rien connu d'autre qu'un monde où il est possible de vivre et de se regarder vivre en même temps. Or, entre participation, interaction et exhibitionnisme, la ligne peut être mince. Et la distance, trompeuse.

«On a l'impression que les personnages parlent d'eux mêmes, mais ça ne se peut pas que tout soit vrai. C'est fabriqué pour exister aux yeux des autres. Le rapport à la représentation est extrême», précise Laurence Dauphinais, qui joue dans Cinq visages pour Camille Brunelle et aussi dans l'iShow, spectacle qui s'interroge davantage sur la frontière entre le public et le privé.

Traverser l'écran

L'aire de jeu de l'iShow sera dominée par une grande table où prendront place 15 comédiens et leurs ordinateurs.

« L'écran devient une prolongation du corps physique», estime Édith Patenaude, qui fait partie de la cellule dramaturgie de ce spectacle collectif. Un plus grand écran permettra au public de voir ce qui apparaît sur les ordinateurs des acteurs au moment même où, par l'entremise d'interface de clavardage vidéo, ils converseront avec des inconnus qui croiront d'abord s'exprimer sans un cadre privé.

Claude Poissant n'est pas impliqué dans l'iShow, mais il en a donné l'impulsion lors d'un stage de création à Ottawa, il y a quelques années.

Le metteur en scène, qui s'intéresse «à ce qu'il ne comprend pas», avait lancé ses stagiaires sur la piste des médias sociaux, convaincu qu'il y avait là «une matière pour nourrir la dramaturgie contemporaine».

Son intuition était juste: un mois plus tard, il recevait le texte de Cinq visages pour Camille Brunelle.

Il a d'emblée été fasciné par les personnages de Guillaume Corbeil et leur besoin «de garrocher leur vie» à la face des autres. Que chacun se définisse soi-même par rapport aux autres «fausse complètement la donne» des rapports humains, croit l'homme de théâtre.

«On comprend les autres à partir de ce qu'on est, nous, et de ce qu'ils sont, eux. C'est un amalgame de petits atomes qui crée la compréhension entre l'un et l'autre», juge-t-il.

Les médias sociaux forcent à redéfinir notre rapport au monde», convient Édith Patenaude. Avec l'iShow, ses collègues et elle tentent de comprendre la nature de ce changement. «L'écran rapproche autant qu'il crée une distance, croit-elle. Il y a un désir d'aller plus loin que le rapport à l'écran. Il y a aussi ce fantasme de la rencontre vraie, amicale ou amoureuse...»

Guillaume Corbeil, lui, croit que la place qu'occupent les médias sociaux est en train de «déplacer le réel». «Le présent et le réel sont de moins en moins le lieu où on est. On se projette dans l'autre réel, public et dématérialisé. On fuit de plus en plus dans l'interface...»

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iShow - Du 21 au 23 février à l'Usine C. Cinq visages pour Camille Brunelle - Dès le 26 février à Espace Go.