Après un passage remarqué au FTA en 2007, Rouge décanté du metteur en scène flamand Guy Cassiers repasse par Montréal le temps de trois petites représentations. La Presse a rencontré son interprète Dirk Roofthooft, qui joue le rôle de Jeroen Brouwers depuis huit ans!

Dirk Roofthooft ne se lasse pas d'interpréter Rouge décanté, une adaptation théâtrale du roman autobiographique du Néerlandais Jeroen Brouwers. Depuis huit ans qu'il reprend les traits de l'auteur, un homme seul, malade, perturbé et incapable d'aimer, qui raconte sa vie dans un camp de concentration japonais durant la Deuxième Guerre mondiale. Mais surtout sa vie après.

C'était en 1943, Jeroen Brouwers n'avait alors que 3 ans. Il a été interné pendant deux ans avec sa mère dans le camp de Tijdeng, non loin de Jakarta, en Indonésie. Malgré leur libération, la vie n'a jamais plus été la même. Ni pour lui ni pour sa mère. Brouwers a commencé à écrire son histoire le jour où sa mère est morte. Son récit, deuxième volet d'une trilogie, a reçu le prix Femina en 1995.

«La première adaptation de Guy Cassiers, je la trouvais trop centrée dans le passé, dans le camp d'internement, explique Dirk Roofthooft. J'ai donc ajouté le maintenant et aujourd'hui, qui se trouve également dans l'oeuvre de Brouwers. Sur son incapacité à aimer, par exemple. Au fond, c'est une pièce sur l'immobilité d'un homme qui ne s'est jamais remis de ce qu'il a vécu avec sa mère.»

Roofthooft récite ces quelques phrases à la fin du livre: «Je suis toujours là où ma mère m'a dit que je devais rester. J'ai un pied plus lourd que l'autre, trop lourd pour être soulevé, de sorte que je n'arrive pas à quitter l'endroit où je me tiens depuis plusieurs heures.» «Il parle d'immobilité, précise-t-il. Et cette immobilité, je la ressens aussi. Celle de ne pas avoir l'impression d'avancer. De ne pas être très différent des autres. Et à la fin, de n'être ni satisfait ni heureux.»

La force du monologue

Depuis sa création en 2004, la pièce est un succès critique. Un journaliste du Monde l'a même prié de jouer la pièce «jusqu'à la fin de ses jours». «Oui je suis d'accord, répond-il. Je trouve ce texte d'une intensité et d'une beauté que je n'ai jamais lues. Il y a un équilibre dans les mots, c'est une véritable symphonie. C'est drôle parce qu'on me dit la même chose de L'empereur de la perte, de Jan Fabre, un monologue que je joue depuis 15 ans!»

Quelle est la grande force de Rouge décanté? «C'est d'évoquer des choses qu'on sait d'avance, mais qu'on ne peut pas expliquer, répond Roofthooft. Comme un poème qui doit intriguer, nous rendre curieux de ce qui n'est pas écrit. Quand on est amoureux, on ne peut exprimer que 20% de ses sentiments. Dans les choix des mots qu'on emploie, il faut trouver le moyen d'évoquer les 80% restants qu'on ne peut exprimer. Derrière les mots de Rouge décanté, on sent ces 80%.»

On dit que Rouge décanté est un hommage à la maternité. Pourtant, le personnage ne cesse de parler de la haine qu'il a pour sa mère... «À la fin de la guerre, Brouwers était persuadé qu'il vivrait en symbiose avec sa mère. Mais dès leur retour aux Pays-Bas, elle l'a placé dans un pensionnat. Il s'est senti trahi par elle. Dans le spectacle, je parle de cette haine qu'il ressent pour elle, mais je joue avec beaucoup d'amour pour elle. Derrière ces 20% de mots de haine qu'il exprime en parlant de sa mère, il faut entendre les 80% de mots qu'on ne dit pas et qui expriment tout son amour pour elle.»

Dirk Roofthooft travaille maintenant à l'adaptation du Coupeur d'eau, de Marguerite Duras, qui sera présentée en mars à Anvers. «C'est un court texte de quatre pages qui fait le récit d'un homme qui a coupé l'eau d'une gare dans laquelle se trouvait une famille démunie. Les quatre membres de la famille se sont suicidés. Je vais jouer la pièce, mais j'ai aussi écrit une réplique à ce texte. Parce que Duras a beaucoup démonisé ce coupeur d'eau. Je veux questionner la responsabilité des suicidaires aussi.» Un autre monologue qu'il espère présenter au Québec.

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Du 30 janvier au 1er février à l'Usine C.